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27 avril 2023 4 27 /04 /avril /2023 21:04

Après un départ très classique et explicatif, "A letter from Tokyo", de Kim Min-ju dresse un portrait délicat, tout en nuances d'une mère et de ses trois filles.

 

 

 

A letter from Tokyo

 

Film de Kim Min-ju

 

Avec Han Seon-hwa, Cha Mi-kyeong, Han Chae-A, Song Ji-Hyun

 

 

 Premier film de la réalisatrice coréenne Kim Min-ju, « A letter from Tokyo » donne de prime abord l'impression d'un terrain fictionnel très balisé, où le moindre trait psychologique des personnages est bien défini (très vite, on comprend que la plus jeune des trois sœurs est une fan de hip hop, que l’aînée travaille dans un magasin...). Une crainte du vide, de la perte de clarté qui ne laisse rien augurer quant à une possibilité de nimber les unes et les autres de mystère.

 

 Pourtant, quelque chose prend dans « A letter from Tokyo », imperceptiblement. C'est à son personnage principal, Hye-young, la sœur du « milieu », selon la belle expression par laquelle elle se définit, qu'on doit son intérêt grandissant. Après une longue période à Seoul, où elle voulait devenir écrivaine, son retour auprès de sa mère et des deux sœurs à Busan, est représenté comme un moment déceptif. Une ambiguïté, pour ne pas dire une incohérence, se dessine quant aux vraies raisons de son retour. Par la scène d'ouverture, où Hye-young est dans un taxi et observe les changements de la ville de Busan, Kim Min-ju décrit de manière délicate le passage du temps, de même que, par quelques inserts, la transformation d'une ville (via des chantiers où s'élèvent beaucoup d'immeubles sans saveur).

 

 C'est plus tard, lors d'une visite inattendue de son petit ami que se dessinera une éventuelle explication du retour de Hye-young : elle lui explique qu'elle n'éprouve peut-être plus rien pour lui. Pourtant, on peut croire que le motif tourne autour de sa réussite à lui en tant qu'écrivain. Tout le sens de la présence de Hye-young n'est pas dévoilé et la comédienne Han Seon-hwa l'interprète avec une sorte de distance lisse, décalée, comme si sa présence, par forcément bienvenue, impliquait une forme de retrait l'obligeant à être dans une position d'observation. En ce sens, Kim Min-ju filme souvent l'actrice en plan moyen, étirant la durée du plan sur elle, comme pour faire de sa présence à la fois une affirmation (son retour volontariste) et un mystère à comprendre (sa situation décalée par rapport à sa mère et ses sœurs).

 

 Une présence insinuante qui opère comme une force de résistance douce aux injonctions : celle de la mère, qui ne comprend pas qu'elle revienne ; celle de la sœur aînée, qui ne manque pas de souligner l'incongruité de son retour et la voit comme une donneuse de leçon, dès lors qu'elle commence à prendre des initiatives. Celles-ci se concentrent petit à petit sur la figure de la mère, avec comme point de cristallisation fictionnelle la découverte par Hye-young d'une lettre écrite en japonais. Par rapport à ce qui pourrait figurer comme un moteur dramatique de libération fictionnelle, la cinéaste opère en demi-teinte, ne donnant pas à la lettre une dimension révélatrice particulière, mais l'inscrivant au contraire dans une processus de redécouverte relative de sa mère par Hye-young. Est évoquée avant la lettre une possible origine japonaise de la mère, sans que cela ne suscite plus d'interrogation ou de réticences de part et d'autre.

 

 C'est sans doute la meilleure part de « A letter from Tokyo » que de ne pas surenchérir sur la signification de cette lettre. D'ailleurs, le film prend une allure d'enquête bien moderne, avec la traduction via les smartphones de son contenu. Manière, là encore de retarder toute révélation explosive. La volonté de découverte de la vérité s'accorde avec la banalisation lente de l'investigation, quand bien même la lettre serait volée par la plus jeune sœur. Dans cette ouverture de « A letter from Tokyo » vers un ailleurs, perce la prégnance d'une relation à la Corée fondée sur une dimension historique tragique, d’où en découle un ressentiment (l'opprobre jetée jadis sur les liens amoureux avec l'ennemi), alors que, par le prisme individuel de la mère, ce sont les notations impressionnistes qui donnent au film son pouvoir évocateur, au travers de la résurgence de mets coréens appréciés aux haricots rouges.

 

 Sur cet aspect nostalgique, Kim Min-ju ne force jamais la note. Et si le voyage désirée par la mère au Japon marque une progression dramatique inexorable, Kim Min-ju ne l'amène pas à son point d'accomplissement, mais laisse planer une ouverture où le doute, l'oubli, l'impossibilité de combler les trous du passé marquent une approche évanescente. Pour une femme dont la mémoire s'envole, on ne peut pas imaginer un meilleur accord.

 

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