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29 septembre 2017 5 29 /09 /septembre /2017 05:43

 

 

 

Stadium

 

Conception et mise en scène de Mohamed El Khatib et Frédéric Hocké

 

Texte de Mohamed El Khatib

 

Avec 53 supporters du Racing Club de Lens

 

 

De "Finir en beauté" - qui relatait, avec une délicatesse mêlée de distance humoristique, la mort de sa mère – à "Stadium", Mohamed El Khatib, figure montante du théâtre fait avec trois fois rien, semble opérer un saut quantitatif. Ne voilà t-il pas qu'il va jusqu'à se retrouver dans une salle de près de 800 personnes pour présenter un spectacle en hommage aux supporters du club de foot de Lens, considérés parmi les plus fervents du championnat de France. Quand "Finir en beauté" s'attelait à révéler un sujet éminemment intimiste, autour d'une seule figure (prolongée plus tard par le désopilant "Moi, Corinne Dadat"), "Stadium" semble prendre le contrepied de cette veine.

 

Quoi de plus universel en effet, en matière de sport, que le foot ? Quoi de plus éloigné de la confidentialité et de la capacité d'identification à priori qu'un supporter de foot. L'amateur le plus aguerri, juché devant sa télévision, ne se représente la plupart du temps le supporter que comme une figure de l'ombre, réduit à ses clameurs, ses chants et, parfois, à sa violence teintée de racisme.

 

C'est que Mohamed El Khatib, en véritable amateur de foot (qu'il a pratiqué), en se polarisant sur ces supporters lensois, s'attache à en révéler la singularité, ne manquant pas d'en faire, à travers des textes défilant sur un écran, des figures de contestation sociale. On peut trouver cela naïf, mais la sincérité du metteur en scène finit par faire fondre les réticences. Sa démarche, en soi, ne s'écarte pas de cette approche précédente où il s'agit de mettre en avant non pas des corps fictionnels, mais des individus réels, prélevés dans le tissu vibrant de l'existence. Ainsi, inviter 53 supporters sur scène ne vise en rien à produire un effet spectaculaire (remplir une grande salle). Lors de l'arrivée massive du plus grand nombre d'entre eux, les voir aller s'asseoir sur les estrades ne trahit aucunement un geste d'affirmation : on y sent au contraire comme de la gêne, dans cette façon d'occuper l'espace comme des personnages venant poser pour une photo de famille.

 

En convoquant ces individus, sans filtre, en les invitant à se raconter (comme cette jeune parlant de son père qui l'envisageait comme le garçon qu'il aurait aimé avoir), El Khatib poursuit son travail théâtral original, marqué par son fort aspect documentaire. Qu'il soit filmé (et montré sur un écran), ou qu'il intervienne devant un micro, c'est ce rapport au réel qui frappe chez le metteur en scène, si éloigné de toute velléité fictionnelle. "Stadium", non content de mettre en scène des personnes réelles, pousse la veine sociologique jusqu'à faire des supporters de Lens (et par là du foot) le miroir de l'évolution de la société. On n'est pas obligé d'être en accord avec cette vision, qu'on pourra juger partielle, mais force est de constater que précisément par le prisme de la mise en scène, un vrai souffle épique se répand.

 

C'est surtout que cette présence modeste des corps de supporters ouvre sur des interrogations vertigineuses (l'exclusion, le racisme). Il suffit de prendre cette ignominieuse banderole déployée au Stade de France pour comprendre la prégnance d'une vision étriquée de l'autre. C'est notamment autour de la figure de Jonathan le pessimiste que cette question est abordée. Le jeune homme, véritable passeur, sans se départir de sa passion dévorante pour son rôle de supporter, retrace brièvement l'histoire du bassin minier, le chômage, jusqu'au basculement d'une population qui après avoir voté pour Hollande, a massivement donné ses voix à Marine Le Pen lors de la dernière élection.

 

Cette dimension sociologique est heureusement tempérée par le ton globalement humoristique de "Stadium". L'entrée des mascottes un peu déprimées s'avère désopilante et, sur quelques notes de guitare, la saillie chorégraphique de l'un d'eux, ouvrant sur la représentation d'un rêve, prend même une allure poétique.

 

S'il y avait à craindre l'écart entre un public parisien aguerri et la présence de véritables supporters sur scène, la réussite de "Stadium" tient à cette suture opérée par El Khatib lui-même, dans sa présence bienveillante. Organisateur sans être trop dirigiste, il ne se contente pas de relier les différents protagonistes par ses questionnements. Le champ du théâtre est ouvert comme jamais, si bien qu'à l'entracte, les spectateurs peuvent aller acheter bière et frites à un food-truck installé sur la scène. De même, qu'en fin de spectacle, c'est dans les coulisses que la fête continue, à coups de chants et de percussions. On ne sortira pas de "Stadium" avec une envie d'assister à un match de foot dans les tribunes, mais on ne sera pas mécontent qu'une portion de cette réalité ait investi un théâtre, pour en distiller de salutaires frémissements.

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