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2 février 2022 3 02 /02 /février /2022 11:26

Film nocturne, économe en paroles, marqué par une forte empreinte poétique, « Vitalina Varela » marque le retour gagnant sur les écrans du cinéaste portugais Pedro Costa.

 

 

 

Vitalina Varela

 

Film de Pedro Costa

 

Avec Vitalina Varela, Ventura, Manuel Tavares Almeida

 

 

 Des corps cernés d'ombre, vêtements sombre, avancent dans la nuit, lentement, en silence. Dans l'épaisseur recueillie d'une procession, ils passent à côté d'un corps, comme affaissé contre un mur. Dans cette séquence d'ouverture, une notion de temps s'installe, de manière quasi paradoxale, entre un mouvement amorcé (la lente mais sure avancée des corps vers un point précis) et l'incertitude de ce corps à l'écart, dont on ne se figure pas immédiatement qu'il peut être celui du mari de Vitalina Varela. Entre le rythme processionnel et le corps à coté, il y a comme un décalage, qui dit combien, dans un même espace, des rapports aux temps décalés peuvent se glisser.

 

 Si « Vitalina Varela » est un grand film sur le temps, comme on ne peut plus vraiment se l'imaginer dans le cinéma contemporain, où la vitesse prend le pas sur toute volonté de contemplation, c'est surtout parce que le temps auquel sont soumis les personnages n'est pas celui, ordinaire, du développement dramatique, avec ses strates successives, ses points d'orgue et de résolution. Ici, en quelque sorte, le film commence quand tout a déjà eu lieu et la condition pour qu'un récit minimal y advienne, c'est de faire en sorte que les personnages plongent dans un espace avec des caractéristiques déterminées,

 

 Si le réel est convoqué dans le film au travers de la vraie Vitalina Varela et de son histoire, c'est pour en livrer une fiction dont la ténuité n'a d'égal que l'immense « noyau de nuit » qui la recouvre. Pedro Costa ramasse ainsi l'histoire de cette femme qui a attendu 25 ans un billet d'avion pour rejoindre son mari à un point de cristallisation temporelle et spatiale marqué par un sentiment de perte et de reconquête. Télescopage de durée (le passé envahit le présent), étirement, décalage (on dit à Vitalina « Tu arrives trop tard ...».

 

 Avec ce sentiment prégnant d'une histoire qui ne peut plus avancer, faute d'une substance narrative forte, « Vitalina Varela » pourrait être un film de morgue, où les personnages s'enferment dans la pesanteur de leur rapport au temps. Mais dernière la caméra de Pedro Costa, ces personnages, bancals, malades, ayant perdu la foi pour le prêtre, conservent une dignité qui les élèvent au rang de figures épiques. La seule Vitalina Varela, dans sa conversation avec son mari mort, dans sa maison inachevée, est moins dans une posture lacrymale, à l'image des pleureuses de culture traditionnelle, que dans une volonté d'affirmation la portant à adresser des reproches à son mari. Ces moments où l'intériorité - tel un « Stream of consciousness » (courant de conscience) - est verbalisée, inscrivent « Vitalina Varela »  dans une dimension poétique rare dans le cinéma contemporain.

 

 Alors la quasi absence de dialogues laisse également planer un sentiment de solitude sur le film, il n'est pas pour autant dépourvu d'espoir. Et quand bien même cette chape nocturne permanente qui l'enrobe ancre son tracé fantomatique, c'est pour mieux l'amener vers une lumière finale. Les corps, loin d'être noyés dans cette aura sépulcrale, s'inscrire dans une traversée spatiale pour au contraire arriver à une forme d'assomption, d'où le sentiment d'un film qui, quelque soit l'état physique d'un personnage (le prêtre et ses tremblements) laisse percer les germes d'un renouveau, au delà du désespoir. Corps cernés de nuit, mais marqués par une capacité de présence d'autant plus fascinante, car inscrits dans une puissance de surgissement.

 

 Dans cette ambiance si particulière, les sons acquièrent une étonnante matérialité, en provenance des maisons attenantes, témoignant d'une animation insoupçonnée. « Vitalina Varela » en devient un film où les corps, en évoluant dans le tissu de sons et d'obscurité, obtiennent une inaltérable épaisseur existentielle.

 

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