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15 mars 2014 6 15 /03 /mars /2014 23:12

 

 

Les aveugles

 

Pièce de Maurice Maeterlinck

 

Mise en scène de Daniel Jeanneteau

 

Avec Ina Anastazya, Solène Arbel, Stephanie Béghain, Pierrick Blondelet, Jean-Louis Coulloch, Geneviève de Buzelet

 

 

"Seuls les yeux sont encore capables de pousser un cri". René Char

 

 

 Il y a plus de dix ans, on avait pu voir une très belle adaptation de la pièce de Maeterlinck, mise en scène par Denis Marleau. Minimaliste, ne figurant que des visages, grâce au recours de la technologie, Marleau réussissait à créer un climat envoûtant avec au fond peu d'effets. La version de Daniel Jeanneteau, en explorant une voie complètement différente, a déjà le mérite de créer une atmosphère très particulière, en se basant essentiellement sur un respect du texte.

 

 De quoi s'agit-il quand on franchit une première porte, à la Scène Watteau, théâtre de Nogent-sur-Marne ? Passé la première impression (celle de patienter avant d'entrer dans une boîte de nuit), on arrive dans une pièce, dont on devine qu'elle représente une salle de spectacle réaménagée. Une sorte de brume (la fumée caractéristique utilisée sur scène) envahit l'espace, et une spectatrice, sûre de son effet, ne manque pas de relier cela à une actualité brûlante : "C'est la pollution". Dans un second temps, nous sommes invités à pénétrer dans la pièce où va se dérouler le spectacle, envahie de cette fumée particulière. Des chaises y sont disposées et le spectateur doit aller s'asseoir en avançant de manière tâtonnante.

 

 Avec son dispositif original, Daniel Jeanneteau ne vise ni plus ni moins qu'à immerger le spectateur au cœur d'une expérience qui n'est pas simplement géographique, spatiale. Quand bien même ce spectacle reposerait sur un bouleversement de la sacro-sainte division salle-spectateur, l'enjeu tient vraiment à la manière de créer une proximité entre ce que véhicule un texte et sa réception.

 

D'être ainsi au cœur d'une histoire relatant l'égarement d'aveugles partis en promenade, c'est à leur perte d'orientation à laquelle le spectateur est convié. De se trouver dans cette salle, avec des chaises disposées un peu n'importe comment, on est amené à trouver, dans son rapport à l'espace, une équivalence avec l'égarement des protagonistes. Les voix des comédiens s'élèvent, là dans un coin, des chuchotements sont entendus sans qu'on sache vraiment de quelle zone ils proviennent. Dans cette brume, on arrive, petit à petit à distinguer une forme qui se déplace, et notre sens auditif est constamment sollicité, aiguisé.

 

 Certains spectateurs, pourtant, choisissent de fermer les yeux. Désir de s'identifier totalement avec le handicap des protagonistes ? Pas forcément, puisque dans "Les aveugles", il n'y a à priori rien à voir et quand tout à coup, une voix s'élève juste à côté de soi, la vision d'un comédien n'ajoute rien à l'acte consistant à écouter. C'est par l'audition, exaltée chez les personnages de Maeterlinck, qu'on est plus à même d'apprécier ce magnifique spectacle.

 

 Le son, dans la pièce, ce ne sont pas seulement des voix, c'est aussi la création d'Alain Mahé, qui propose des petites cellules rythmiques discrètes, égrenées à travers la salle comme autant de repères sensitifs. Avec la talentueuse joueuse de koto japonaise, Mieko Miyazaki, ils livrent une utilisation très particulière de l'instrument traditionnel, aussi ténu que possible sur le plan mélodique. Associé aux voix, cet écrin sonore très présent contribue à créer une nappe qui valorise le beau texte de Maeterlinck.

 

Dans sa simplicité dramatique, on retrouve chez l'écrivain cette faculté à créer une atmosphère en restituant avec précision l'univers des sensations. Dans les mots de ces aveugles, on perçoit des peurs primordiales, on sent émerger des réactions propres à faire sourdre l'angoisse, aussi bien que des impressions primaires, naissantes. Ces aveugles entretiennent avec l'enfance cette part de surprise face aux éléments immaîtrisables (neige, vent), tout comme l'effroi devant la découverte du corps du prêtre. Et c'est tout le mérite de Daniel Jeanneteau et de ses comédiens que d'arriver à nous les restituer avec autant de sensibilité.

 

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