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13 mars 2015 5 13 /03 /mars /2015 22:53

 

 

 

André

Projet de Marie Rémond

Avec Marie Rémond, Christophe Garcia, Laurent Ménoret


 

 Découvrir "André", lors de sa reprise au Carreau du Temple, après son succès à Avignon en 2012 (et un passage au Théâtre du Rond point), permet de tirer des enseignements salutaires sur la démarche de Marie Rémond. Car entretemps, il y a eu "Vers Wanda" qui à bénéficié, tout comme "André", d'une écriture collective avec Clément Bresson et Sébastien Poudouroux.

 D'un côté comme de l'autre, en s'attachant à brosser le portrait de figures célèbres - encore que Barbara Loden, réalisatrice du film "Wanda" a longtemps vécu dans l'ombre de son mari Elia Kazan -, Marie Rémond, initiatrice de ces projets, en livre une représentation décalée. Dans "André", adapté de la biographie du célèbre joueur de tennis, la jeune comédienne cherche non pas à asseoir la légende de ce joueur, mais au contraire à en révéler les failles, la fragilité. Qu'elle se glisse elle-même dans la peau d'Agassi témoigne d'une démarche non-réaliste, dépourvue toutefois de la moindre dérision.
 
C'est ainsi qu'au début du spectacle, où elle fait face au public, elle décline son identité, dans une forme paradoxale : quand elle dit simplement qu'elle est André Agassi, le nom du joueur a beau résonner d'une manière précise dans l'oreille du spectateur, sa posture étriquée, sa présence physique fragile la situe plutôt du côté d'un simple individu qui décline son identité, à la manière d'un accusé se présentant devant un tribunal. D'entrée de jeu, par cette frontalité, cette neutralité de la présentation, l'entreprise de démythification est patente, alors même que c'est tout le discours d'André qui va se révéler petit à petit axé sur un dégoût du tennis.

 La force du spectacle tient à ce sentiment permanent de voir un personnage dépossédé de lui-même depuis son enfance, qui clame son inaptitude mentale au jeu et qui pourtant, dans l'ère moderne du tennis, est l'un de ceux qui l'aura pratiqué le plus longtemps (derrière Jimmy Connors). Cette dépossession, elle est excellemment rendue par le trio, mais surtout par Marie Rémond qui, dès l'entame, livre une description glaçante, clinique, du joueur de tennis : une maladie qui aurait dû le tenir éloigné des courts, expliquant sa démarche si caractéristique, les pieds pliés vers l'intérieur. Pour couronner le tout, Marie Rémond fait du dernier match d'Agassi le cœur de son spectacle. Saisissante est la description - aux confins du burlesque - des derniers échanges avec Benjamin Becker où perclus de douleur, il en arrive à un moment où il ne sent plus son bras droit.

 Cette fragilité voulue par la comédienne est accentuée par les scènes renvoyant à des flash-backs, où André est représenté enfant, en compagnie de son père entraîneur et de son frère, piètre joueur, qui ne semble à côté de lui que comme une béquille - il faut voir ces scènes où c'est lui qui répond aux injonctions du père, alors qu'André reste dans une passivité hébétée. Agassi enfant joué par Marie Rémond, c'est aussi une manière d'accentuer la différence des corps, la comédienne étant prise entre la grande taille de Laurent Ménoret et la présence musclée, massive de Christophe Garcia, qui joue son père.

 La passivité, corrélée à ce sentiment de dépossession, c'est ce qui relie "André" et "Vers Wanda". Quand le personnage féminin de la précédente pièce donne constamment cette impression de suivre sans broncher un braqueur, le joueur de tennis dans "André" accentue encore plus ce côté marionnette, que ce soit face aux invectives du père, aux récriminations de Nick Bollettieri (fameux entraîneur qui a fait émerger quelques stars parmi lesquelles Monica Seles ou Jim Courier) ou encore avec les deux coachs psychologues. Ces derniers, dans une scène cocasse, le guident jusqu'à en faire un pantin désarticulé, cherchant une pose dans laquelle il se sentirait bien.


 Ce travail de Marie Rémond sur la dépossession, extrêmement cohérent, se révèle encore plus troublant si l'on inclut son rôle récent dans "Yvonne, princesse de Bourgogne", mise en scène par Jacques Vincey. Comble de la passivité, Yvonne, femme mutique, poupée apathique déplacée au gré des fantasmes de prince et de roi, trouvait une belle incarnation dans le physique frêle de la comédienne. Ce statut de princesse involontaire entre parfaitement en écho avec un André Agassi qui endosse un rôle par devers lui, poussé par son père, puis par d'autres. Dans ses différents rôles, Marie Rémond trace ainsi une trajectoire où sa stature, bien que discrète, son allure somme toute banale, arrivent à imposer une présence entêtante.

 

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