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28 février 2016 7 28 /02 /février /2016 23:50

 

 

 

 

Les délices de Tokyo

 

Film de Naomi Kawase

 

Avec Kiki Kirin, Masatoshi Nagase, Kyara Uchida

 

 

 On sait, avec le cinéma de Naomi Kawase, que la fiction est une matière volatile et que "Les délices de Tokyo" (titre français trop explicite, programmatique, facilement chargé d'un potentiel séducteur), à la trame ténue, ne dérogera pas à la règle. Forcément, une intrigue qui porte sur la rencontre entre une vieille femme et un marchand de dorayaki (sorte de pancake fourré à la pâte de haricot rouge, asuki) peut laisser perplexe quant à toute intensification dramatique.

 

 De fait, "Les délices de Tokyo", à son entame, adopte ce rythme si particulier chez Naomi Kawase, fait de louvoiement, d'attente, où le risque court déjà de voir la caméra s'attarder sur les paysages ou, plus précisément ici, sur les cerisiers en fleurs. C'est que la veine documentaire chez Naomi Kawase, qui a donné chez elle d'excellents films, irrigue encore et encore ses films de fiction et le temps pour elle d'installer une atmosphère justifie ces percées lentes.

 

 C'est avec la même tranquillité que Tokue, femme âgée de 70 ans, surgit dans la vie de Sentaro. Sa venue, si elle se fait sur la base d'une sorte d'espièglerie (elle cherche du travail), n'en contient pas moins un pouvoir d'étrangeté absolu. La fiction, envisagée comme un motif lié à une rencontre, prend nœud ici, et les réponses placides de Sentaro, sous forme de refus poli, n'en constituent pas moins l'amorce véritable de la fiction.

 

 Le cœur des "Délices de Tokyo", c'est quand même cette ahurissante séquence de confection des dorayakis, présentée de bout en bout, avec les commentaires de Tokue, lesquels servent précisément à faire basculer la dimension purement documentaire vers un plan rêvé, comme si parler aux haricots, établir un dialogue avec l'inanimé ouvrait le champ du surnaturel, de la relation avec la nature, propre au shintoïsme.

 

 Dès lors l'intérêt grandissant du film de Kawase repose sur cet irrésistible point de bascule, quasi imperceptible, entre réalisme documentaire et une veine quasi fantastique. Car, dans le cinéma nippon, la figure du fantôme, que Tokue finit par évoquer, n'est jamais loin. Lépreuse, comme s'arrachant d'une zone parallèle, elle investit l'espace de Sentaro pour y insuffler un peu de vie, conjurant ainsi sa solitude, et également celle de la jeune Wakana (Kyara Uchida). En cela, "Les délices de Tokyo" n'est pas sans évoquer le film de Kiyoshi Kurozawa, "Vers l'autre rive", sur une figure de revenant conviant sa femme à un voyage. Ici, le voyage, moins abstrait, plus palpable, devient culinaire, tout en ouvrant sur des perspectives plus profondes.

 

 En cela, le film de Kawase se révèle un vrai conte initiatique, et ce mouvement représente la meilleure part du film ; mais surtout, il est porté par une prestation remarquable de l'actrice Kirin Kiki. Face au jeu mesuré, presque terne, de Masatoshi Nagase en Sentaro, elle propose une interprétation sensible, mais surtout imprégnée d'une douce animalité : ses râles et ses gloussements, nombreux, sont comme autant de signes destinés à créer un dialogue au-delà de la parole. Présence corporelle, palpable, sensible, qui laisse penser que pour mettre en scène ce personnage de femme âgée, Naomi Kawase n'a pas manqué de puiser dans l'expérience de sa relation avec sa grand-tante, qui l'a élevée, et qu'elle a exposée dans plusieurs documentaires. On veut croire que c'est la lumière bienfaitrice de cette grand-tante qui plane sur "Les délices de Tokyo" et produit chez Kirin Kiki une telle irradiation.

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