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18 décembre 2016 7 18 /12 /décembre /2016 21:35

 

 

 

Fille du paradis

 

d'après "Putain" de Nelly Arcan

 

adaptation et mise en scène d'Ahmed Madani

 

Avec Véronique Sacri

 

 

On ne sait pas bien si la présence d'Ahmed Madani aux côtés de Véronique Sacri, un soir de représentation au Théâtre de Belleville, faisait partie du jeu. Avant que la pièce ne commence, le metteur en scène papote en effet avec sa comédienne. Intrigué, on pourrait avancer l'hypothèse qu'il est là pour l'encourager, mais le sourire rayonnant de Véronique Sacri est comme le gage qu'elle se sent suffisamment à l'aise pour reprendre un rôle créé en 2011, et pour lequel on l'imagine forcément rodée.

 

C'est plus tard qu'on se dit qu'il y avait sans doute bel et bien une volonté de Madani de mettre à l'aise la comédienne, puisqu'on s'est assez vite rendu compte qu'elle était... enrhumée. Mais avant cela, une fois Madani sorti, Véronique Sacri s'adresse au public avec un naturel confondant, si bien qu'on a l'impression que la pièce n'est pas encore commencée, la comédienne instaurant un dialogue. C'est que, par cette adresse destinée à nous la rendre plus proche, Madani distille ce qui fait l'une de ses marques, cette abolition passagère de la distance entre public et scène. On en a eu récemment un exemple avec "F(l)ammes" à la Maison des Métallos, lors d'une troublante scène avec une prétendue spectatrice.

 

La légèreté, la spontanéité souriante, tout cela ne dure pas. C'est que pour raconter cette histoire adaptée du texte de Nelly Arcan (relatant sa vie d'escort-girl au sortir de l'adolescence), il convient d'inscrire le corps dans le sens d'une parole tendue, au travers d'une écriture sèche, où l'introspection apparaît dans toute sa lucidité aiguisée. Quand Véronique Sacri se débarrasse de ses chaussures pour entamer une danse ensauvagée sur les sonorités âpres d'un morceau de P.J. Harvey, on perçoit cette expressivité folle comme un passage opéré par le corps vers un autre régime de narration.

 

En effet, à mesure que la parole rend compte d'un rapport à l'autre aliénant (les clients, mais aussi la tentative d'expliquer le basculement en fonction des parents, le père surtout), le corps se fige, littéralement statufiée, les mains ouvertes vers l'extérieur. La voix devient blanche, désincarnée. La lumière s'estompe, et voir la comédienne plongée dans cette pénombre conforte l'idée qu'elle plonge, par la mise en scène, dans un écrin protecteur. Ce minimalisme, auquel Madani ne nous a pas habitués, n'est pas sans évoquer la démarche d'un Claude Régy, avec par exemple une Isabelle Huppert toute en rigidité pendant deux heures dans "4.48 Psychose", de Sarah Kane.

 

Véronique Sacri tient ce rôle peu évident avec une belle constance. Grâce à elle, les mots rendant compte de ce dur parcours s'ancrent autant par leur force signifiante que par l 'émotion qui s'en dégage. Soutenue par des musiques de P.J. Harvey (dont l'une, en se répétant, prend des allures de berceuse), elle parvient à insuffler à ce rôle, malgré la sécheresse progressive de la mise en scène, une profonde humanité.

 

 

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