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10 décembre 2021 5 10 /12 /décembre /2021 22:14

Portrait dansé particulier, conçu à distance par visio-conférence, "Xiao Ke" révèle la virtuosité d'une danseuse chinoise arborant les styles les plus divers.

 

 

 

Xiao Ke

 

Conception de Jérôme Bel

 

Avec Xiao Ke et Jérôme Bel

 

 

 

 Parmi les portraits dansés conçus par Jérôme Bel, « Xiao Ke », son nouvel opus, contient une saveur particulière. D'une commande du Centre Pompidou initialement créée pour leWest Bund Museum à Shanghai, Bel a tenu à livrer une version pour la France, en tenant compte de contraintes qu'il s'impose, la principale étant qu'il ne prend plus l'avion. La pièce a ainsi été conçue par visio-conférence, Bel donnant des instructions à la danseuse chinoise, alors dans son appartement. C'est ce dispositif intrigant que le public a l'occasion de découvrir dans le cadre du festival d'Automne au Centre Pompidou.

 

 Si jusqu'ici, on avait l'habitude de découvrir en chair et en os les protagonistes des portraits dansés (Véronique Doisneau, Cédric Andrieux, Elisabeth Schwartz incarnant Isadora Duncan), celui-ci, exécuté à distance, pourra de prime abord dérouter, même s'il est accompli en direct, Jérôme Bel contactant Xiao Ke dans son appartement. Car il s'agit ni plus ni moins que de se confronter à un écran. Quand le dialogue s'établit avec la danseuse chinoise, Bel, séduit par le mandarin, traduit ses paroles. Mais il finit par continuer seul à raconter le parcours écrit pour Xiao Ke. Le public, sur lequel Bel a braqué sa petit caméra à sa demande, la voit tout simplement attendre. En écoutant Bel, on la regarde, et une frustration peut monter de ne pouvoir l'entendre, elle seule, tout le long de la pièce.

 

 Mais, petit à petit, on s'aperçoit que si Xiao Ke ne parle probablement pas le français, elle a intégré des portions du texte de Bel, si bien qu'on la voit réagir et anticiper les mouvements qu'elle va effectuer. Dès que Jérôme Bel prononce un mot chinois, elle s'applique à le corriger, rendant ainsi l'échange par delà les continents très actif. Dès lors que Xiao Ke, à l'invitation du chorégraphe français, se lance dans des extraits de danse, le charme opère définitivement. C'est particulièrement lors du deuxième extrait, une danse issue de l'ethnie Dai dont elle est originaire, au Yunnan, que Xiao Ke montre des capacités acquises dès l'enfance par un travail acharné.

 

 Le public est très vite saisi par les innombrables techniques qu'elle présente, depuis les danses traditionnelles jusqu'à celles, contemporaines, abordées après avoir pris connaissance de la danse conceptuelle de chorégraphe français, Xavier Leroy ou... Jérôme Bel, bien des décennies avant que ce dernier ne le contacte. « Xiao Ke » se pare également d'instants drolatiques, lorsque notamment la danseuse effectue en gros plans toutes les mimiques possibles avec son visage dans certaines danses, ou reproduit une performance où elle ne montre que... ses fesses.

 

 Cette large palette chorégraphique abordée par Xiao Ke, du haut de sa maitrise technique, en fait une véritable caméleon. Mais en plus de cela, ce qui fait de ce spectacle, aux confins de l'artisanat, une œuvre très troublante, c'est cette façon de renvoyer constamment à une dimension bien plus grande que la sphère intime, spatiale, dans laquelle la danseuse s'exprime, oralement et physiquement. Le parcours de Xiao Ke, depuis sa découverte de figures fameuses comme Martha Graham, dit combien son regard, depuis plus de vingt ans, est ouvert sur le monde, sur les approches chorégraphiques les plus diversifiées. On reste surpris par cette plasticité, tant mentale qu'esthétique.

 

 Le contraste entre la vision d'une danseuse et le monde chinois auquel elle renvoie est d'autant plus fort qu'il prend effet dans un cadre fixe, et le soin qu'elle prend à ranger soigneusement sa chaise avant de livrer ses extraits creuse encore un écart entre cette présence soignée, souriante et la violence du monde auquel elle est exposée, dans une Chine où s'exprimer en tant qu'artiste est tout sauf évident. Mais la force de « Xiao Ke » est de précisément rompre tous les préjugés que l'on peut avoir sur un pays, deuxième économie mondiale, sur lequel pèse de plus en plus de soupçon, depuis le traitement des Ouïghours jusqu'à la diffusion du coronavirus, qui a tant changé la donne mondiale. Xiao Ke, célibataire dans son appartement, entourée de ses six chats, nous offre au fond une leçon, car en confrontant son regard au notre, en nous dévoilant tout un pan de son univers esthétique, elle ouvre tout simplement nos yeux sur l'incessant battement entre sa Chine natale et le monde.

 

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