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20 novembre 2009 5 20 /11 /novembre /2009 11:53
 
 
 
My magic, de Eric Khoo

Avec Francis Bosco, Jathisweran Naidu, Grace Kalaiselvi
 
 Sorti en France à la fin de l'année 2008, trois ans après le magnifique "Be with me", "My magic", du singapourien Eric Khoo, bénéficie d'une projection à la Cinémathèque française en ce mois de Septembre 2009. L'occasion d'un rattrapage pour ceux qui l'auraient raté. A côté des trois principaux récits qui marquaient la singularité de "Be with me", le dernier opus de Khoo peut apparaître d'une relative simplicité, comme a pu le souligner la critique. Il est vrai que sa linéarité, son resserrement sur un personnage principal, voire son filmage à la limite de la négligence, peuvent donner l'impression d'un film mineur. 
 
 Pourtant, "My magic" entretient plus d'un lien avec "Be with me", principalement par l'inscription dans sa fiction d'un personnage réel. En effet, comme Theresa Chan jouant son propre rôle dans le précédent film, Francis Bosco est réellement magicien dans la vraie vie, à Singapour. Khoo, le connaissant depuis longtemps,  s'est inspiré des difficultés relationnelles qu'il entretenait avec son fils pour tisser une histoire autour du même thème. L'inscription du corps de Bosco, avec ses propriétés réelles, crée un trouble peu habituel dans un cinéma marqué par un certain vérisme.
 
 A travers cela, le film peut ainsi s'appréhender comme une sorte de documentaire sur le corps d'un homme. Ce n'est pas tant par une volonté de sensationnalisme que Khoo filme en gros plan Francis se perçant le bras ou grignotant un verre, que pour attester de la réalité de sa fonction. Dans une fiction ordinaire se poserait différemment la question de la véracité de tels actes. On y croirait ou pas. L'inscription du corps de Bosco dans le film passe par différentes étapes, dont la première est cette dimension documentaire.
 
 Le trouble vient ensuite de la manière dont son corps et sa fonction de magicien sont immergés dans  certaines scènes échappant à des nécessités fictionnelles, comme celle, anodine en apparence, plaisante mais révélatrice où il ouvre son portefeuille pour régler une course à une marchande. Un feu en jaillit, comme si à ce moment Francis, en professionnel de la magie, voyait ses "pouvoirs" lui échapper. La vendeuse sursaute en voyant jaillir ce feu furtif que Francis, comme surpris lui-même, étouffe en refermant son portefeuille. Quelle est la part du jeu ? Quelle est la part de la fiction ? Où est la maîtrise du vrai magicien ?
 
 Autant de questions que Khoo va s'appliquer à complexifier en jetant peu à peu Francis dans les rets d'un récit à la composante sombre. En reprenant son métier de magicien pour redorer son blason auprès de son fils, Francis  nous dévoile toute la panoplie de ses capacités : piétiner ou s'allonger sur des morceaux de verre, introduire des torches dans sa bouche. Rien de bien passionnant pour un spectateur peu féru de ce genre de tour. Seulement, en étant engagé dans une boîte par un patron mafieux, Francis entre véritablement dans une autre forme de fiction.
 
 Les gros plans sur le visage du boss - dignes du Cassavetes du "Meurtre d'un bookmaker chinois" - sont riches d'enseignement sur ce basculement. Il s'agit de passer d'une position de spectateur voué à une pure qualité d'enregistrement optique - comme n'importe qui dans le public - à un statut dramatique. Le succès de Francis est finalement perçu comme un défi à la toute puissance du patron, d'où la convocation à ses côtés et la dernière phase, carrément sadique, qui s'ensuivra. La force de Francis est mise peu à peu à l'épreuve de la fiction.
 
 Un autre personnage joue un rôle important dans ce glissement progressif vers l'incarnation fictionnelle de Francis : celui qui précisément, après lui avoir demandé de lui montrer un de ses tours (Francis perce sa langue devant lui), voit très bien quel profit il pourrait en tirer pour le patron de la boîte de nuit. En l'arrachant à son poste de serveur pour le faire accéder à une certaine notoriété, il précipite du même coup la dégradation physique de Francis. L'élévation sociale - par le gain financier -,  morale - par l'estime retrouvé de son fils - va de pair avec la chute dans la maladie et la mort.
 
 Les scènes proprement sadiques, qui marquent le triomphe définitif de la fiction, ont ceci de troublant qu'elles ne se séparent pas de la dimension documentaire : quand Francis, lors de l'un de ses tours, voit un bâton se briser sur son dos, cela lui vaut des applaudissements. Quand, au moment où il risque sa vie, un sbire du patron de la boîte s'acharne à le battre avec un autre bâton, la nature de ce qui est montré ne change pas de registre alors que l'écart entre la fiction et la réalité s'est totalement creusé.
 
 Autre scène contribuant à créer un tremblement : Francis montre à son fils une photo le représentant, plus jeune, en compagnie de sa femme, tous deux en habits de scène. Rien, à ce moment-là, ne peut attester que cette photo ne serait pas celle de Francis Bosco avec sa vraie femme, même si, en premier lieu, on ne décèle pas de ressemblance. Il nous suffit de savoir que sa femme était son assistante  pour ajouter à la crédibilité non-fictionnelle de cette image.  Il faudra attendre la fin du film pour comprendre, à travers les yeux émerveillés d'un enfant, qu'on a définitivement basculé dans l'imaginaire.
 
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