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16 janvier 2013 3 16 /01 /janvier /2013 23:00

muerte-20y-202-1-.jpg                                      Photo : Christian Berthelot

 

 

Muerte y reencarnaciòn en un cowboy

(Mort et réincarnation en cow-boy)

 

Conception et mise en scène de Rodrigo Garcia

 

Avec Juan Loriente, Juan Navarro, Marina Hoisnard

 

 Au fond, à se rappeler de "Golgota Picnic", sur lequel avait pesé un parfum de scandale, on se dit que mis à part le caractère sulfureux du texte, on était dans une forme d'assagissement visuel. Le texte, envahissant, étouffait de part en part l'épanouissement scénique.

 

 Avec "Muerte y reencarnaciòn en un cowboy", très vite, l'impression de retrouver l'inventivité de Rodrigo Garcia s'affirme : dans l'attente du début du spectacle, on est amené à contempler, d'un oeil parfois distrait, les différents objets disséminés sur scène, en remarquant principalement un taureau, une télé. C'est de cette dernière, une fois les lumières éteintes, que va s'emparer l'un des deux comédiens, pour en jouer, la recouvrant de son tee-shirt. Ce qui y est projeté (des extraits de "Cris et chuchotements", de Bergman ?) est aussitôt amplifié sur un écran au fond de la salle.

 

 En une seule scène, en quelques secondes seulement, est synthétisé pour une bonne part l'art de Rodrigo Garcia : capacité pour un corps à investir un objet (le comédien colle la télé contre lui), déplacement incessant de la fonction de l'objet (la télé bercée comme un bébé, entourée par les mains du comédien). Mouvement de transformation perpétuelle où on ne sait jamais quelle fonction va occuper les objets présentés sous nos yeux. La réalité des corps (souvent nus chez Garcia), au lieu de garantir une sorte de naturalisme, ouvre sur des perspectives vertigineuses, d'où cette présence importante de la vidéo (le corps se transforme en image), les différents plans (corps et images) s'alternant, s'entrechoquant.

 

 Si "Muerte y reencarnaciòn en un cowboy" est du pur Rodrigo Garcia, c'est de triturer - dans une saturation qui va se prolonger pendant une heure - ces combinaisons. Il y a notamment cette longue seconde séquence où les deux comédiens se déchaînent avec leur guitare électrique : tels des gosses laissés à leur jeu, ils les piétinent, les traînent, les jettent, tout cela produisant des riffs tonitruants amplifiés par un technicien - le son, dans la pièce, est très travaillé. Séquence folle, éprouvant sur le plan sonore, mais passionnante par ce qu'il s'y joue de pure régression, de libération sans condition d'une énergie débridée. La force de Rodrigo Garcia est peut-être là, dans ce qui peut apparaître comme manifestation insignifiante : laisser aux corps leur capacité à être emportés dans des soubresauts extatiques, dans une sorte de principe de plaisir immédiat.

 

  Et si dans ce mouvement régressif, la nudité pose parfois la question de sa connexion à la sexualité, c'est plus sur un mode infantile, bestial, primesautier qu'elle se manifeste que comme un acquis de civilisation : le comédien qui se colle à l'autre en se glissant dans son slip, ou qui s'en prend à la geisha témoignent d'un rendu pulsionnel plus que d'un désir érotique assumé.

 

  Ce chaos en forme de capharnaüm dénote la propension de Rodrigo Garcia à se situer dans la filiation d'un théâtre de la cruauté, cher à Artaud, dans lequel perceraient des artistes comme Tadeusz Kantor ou Jan Fabre. Cris, éructations, babils infantiles sont ici les marques de cette tendance. Cette première heure marque notamment un repli du langage - quelques phrases sont prononcées, mais manifestement pas assez signifiantes pour être sur-titrées - au fond assez surprenantes quand on sait que la présence du langage ne contrarie aucunement la veine régressive chez Garcia. Simplement, au lieu de procéder comme il l'a souvent fait, à une dissociation du texte et de la performance (même pris dans un mouvement simultané), Rodrigo Garcia choisit cette fois-ci la succession.

 

 C'est ainsi que l'accès au langage - auquel on ne s'attendait plus, et qui fait retomber l'ambiance surchauffée - ramène nos cow-boys sur les rails de la civilité. Habillés, chaussés de bottes à éperon, chapeau, ils délivrent tour à tour le texte de Rodrigo Garcia, reconnaissable entre tous, teinté de cynisme, de cette vision si noire des relations humaines que le mieux que l'on puisse faire - sans d'ailleurs se forcer - est d'en rire. L'un des comédiens, à la langue muselée façon bondage, nous avait préparé à cette transition, pris dans un monologue incompréhensible, et pour cause.

 

 Dans une scène finale, écho de la première, Rodrigo Garcia, en prestidigitateur rompu au déplacement d'objets évoqué plus haut, arrive à insuffler un peu de poésie surréaliste à un moment d'agonie. L'agitation initiale finit par se résorber en moment d'apaisement, quand bien même serait-il tragique.

 

 

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