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13 octobre 2014 1 13 /10 /octobre /2014 20:33

 

 

Photo : Samuel Rubio

 

 

 

Idiot ! parce que nous aurions dû nous aimer

D’après "L’idiot", de Fiodor Dostoïevski

Mise en scène de Vincent Macaigne


Avec Pascal Reneric, Servane Ducorps, Pauline Lorillard, Dan Artus, Thibault

Lacroix, Emmanuel Matte


 

 Avec "Idiot ! parce que nous aurions dû nous aimer", Vincent Macaigne, star montante du jeune cinéma français, reprend une pièce qu’il avait créée en 2009. Démarche de recréation qui n’est pas déterminée par un désir de faire entrer en collusion les mots de Dostoïevski avec les questions contemporaines. Et pourtant - et c’est là tout l’intérêt du théâtre -, avant l’entrée dans la salle du Théâtre de la Ville, un trouble particulier se diffuse parmi les spectateurs : de loin, avant même de traverser la rue, on aperçoit le symbole des intermittents, désormais fixé dans notre mémoire visuelle. Une foule compacte s’agite au son de clameurs. De là à croire qu’une manifestation risque de perturber le bon déroulement du spectacle, il y a un pas qu’on franchit aisément.

 C’est pourtant le spectacle de Macaigne qui commence, bien avant qu’on pé
nètre dans la salle. Et c’est déjà la première réussite du metteur en scène : jeter le spectateur dans un maëlstrom de voix, de musiques, avant qu’il ne gagne sa place numérotée. On se sent comme pris dans une tenaille dans les escaliers, tandis que s'élèvent les voix de jeunes figurants se taillant en premier un chemin vers la salle. Ces jeunes qui, peu à peu, vont s’installer sur le devant de la scène, dans des positions pas toujours confortables, avant, plus tard, de se disséminer vers d’hypothétiques places.

 Cette invasion du dehors sur la scène, est déjà une belle manière d’interroger le rapport à la contemporanéité d’un texte célèbre, en mettant en avant le corps, jusqu'à ce que la parole ne s’installe d’une manière martiale. Cette façon de fêter l’anniversaire de Nastassia Filippovna (abusée par son père, qui cherche à la marier au plus offrant), prend alors des allures de trip techno tonitruant, comme si le spectateur était convié à une grande soirée. L’oreille va alors être beaucoup sollicitée (des bouchons d’oreille sont distribués à l’entrée de la salle), tout comme le spectateur, interpellé, s’installe au fond dans la peau d’un acteur. C’est l’un des mérites principaux de "Idiot !.." que de nous livrer, face à un texte d’une telle ampleur, le sentiment d’une immédiateté ; de nous proposer un espace conçu comme une installation.

 Et le texte de Dostoïevski dans tout ça ? Macaigne a choisi de le faire dire par ses comédiens comme on jette des salves vengeresses à la société. Soutenus par des micros, ils crient souvent, mais la démarche de Macaigne serait à envisager comme une profération soutenue, moins dialoguée que fondée sur un déferlement de longs monologues philosophiques. Il y a par là une exigence de parole à transmettre, et qui doit à tout prix être entendue. Dans le cri, il y a aussi la peur de rater son désir de transmission. Cette parole tendue, vibratoire, est aussi faite pour que chaque personnage se débatte devant un sentiment de fuite, comme si devant un monde en transformation, il fallait marteler sa présence.

 Avec cette optique de capharnaüm, qui épargne à peine les spectateurs du premier rang - à qui on a remis une bâche en plastique pour se protéger de certains jets -, Macaigne évacue quelque peu la dimension métaphysique présente chez Dostoïevski. Mais son option n’empêche pas l’œuvre d’être cernée d’une certaine forme d’inquiétude, de celle qui gagne par exemple des personnages placés face à un monde en marche, en perpétuelle évolution, confrontés autant à la perte de valeurs qu’aux progrès techniques - il en est ainsi dans la pièce du chemin de fer, qui résonne étrangement avec nos récentes découvertes, comme celle du sida : le chemin de fer envisagé comme un moteur de l ’évolution, tout comme phénomène de propagation de maladie.

 Dans cet univers de cris et de fureur, les comédiens arrivent à tirer leur épingle du jeu. On est en revanche un peu réservé sur la présence de Macaigne qui, en grand officiant dirigeant parfois des scènes, leur fait perdre un peu de spontanéité. Malgré cela, les quatre heures de "Idiot ! parce que nous aurions dû nous aimer"
contiennent une richesse qui en fait l’un des spectacles les plus stimulants de cette rentrée.

 

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