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29 décembre 2014 1 29 /12 /décembre /2014 23:17

 

 

 

 

 

Au revoir l'été

Film de Kôji Fukada

Avec Fumi Nikaidô, Mayu Tsuruta, Taiga, Kanji Furutachi, Kiki Sugino


 
 

 

 A première vue, "Au revoir l'été" est un film habité par la parole, si bien que pendant un bon bout de temps, le souci de Kôji Fukada semble être de distiller des dialogues avec une panoplie de champs-contrechamps. Départ du film timide, l'abondance de dialogues visant moins à en connaître plus sur les personnages en présence qu'à dessiner un background existentiel. C'est ainsi que, lors d'une promenade sur la plage, jusqu'aux rochers,  la jeune Sakuko distille à sa tante une série d'informations sur son prénom.

 Cette longue scène témoigne, chez Kôji Fukada, d'une imprégnation cinéphilique très forte. La promenade sertie de dialogues abondants - qui fait du paysage non pas un lieu de ressourcement contemplatif, mais un espace de dynamisation de la parole -  n'est pas sans évoquer les fameuses balades sur les chemins côtiers de Dinard, dans "Conte d'été" d'Eric Rohmer. Influence revendiquée par Fukada, bien que s'y greffe, dans un entrelacement national et international, la figure de Mikio Naruse, le grand cinéaste japonais intimiste, envers intériorisé de Mizoguchi. On retrouve beaucoup chez ce cinéaste cette figure essentielle de la marche en extérieurs, manière de donner à la matière profondément confidentielle de ses personnages un horizon ouvert qui leur permette de s'épancher.

 On a pourtant moins l'habitude - plus largement dans le cinéma asiatique contemporain - d'assister à autant de dialogues, tant la nature des personnages se partage entre intériorisation des sentiments et difficulté à se situer dans le monde. Si à mesure qu'il avance, "Au revoir l'été" gagne en intérêt, c'est précisément en rendant à ses personnages leur capacité d'échange, que cela passe par l'aveu, la retenue, ou le conflit. C'est, dans un tracé narratif de plus en plus souple, en mêlant l'intime et l'effet de réel, que s'opère cette mutation.

 La vraie bascule dans le film, est constituée par cette très belle scène où Sakuko va déjeuner avec Takashi, garçon timide et indécis, qui n'ose refuser de rencontrer une amie, au point de se rendre maladroit avec Sakuko, qui cède sa place. C'est ici que culmine dans le film ce sentiment qu'une scène qui devrait ouvrir entre deux personnages une possibilité de rencontre s'enraye, sans pour autant que rien ne soit asséné. La ronde des sentiments entre Sakuko et Takashi, c’est véritablement là qu’elle commence, où plutôt qu’elle prolonge la scène sur la plage, qui explicitait le statut de réfugié de Fukushima de Takashi.

 Cette scène de plage, en elle-même, axée également sur une abondance de mots, initie elle aussi un changement radical du statut de la fiction : la parole n’est plus envisagée comme un simple véhicule informatif déconnecté des vibrations humaines immédiates, mais comme le moment où le réel le plus irruptif vient dévier les relations, en la personne d’un des camarades de classe de Takashi. La vanne qu'il lance sur lui contribue cette fois-ci à transformer une information fugitive (Takashi, réfugié de Fukushima, est potentiellement irradié) en moteur fictionnel autour de trois personnages (Sakuko, Takashi et la jeune femme venue prendre la défense de ce dernier sur la plage).

 Que ce soit par l’entremise d’une référence à une réalité douloureuse (Fukushima) ou à un trait culturel japonais (les love hotel), Kôji Fukada introduit progressivement le souffle du réel dans son film, balayant son caractère foncièrement impressionniste (représenté par le titre original signifiant "Sakuko au bord de la rivière "). Pourtant, il ne s’agit pas pour le cinéaste de marteler, sur un mode critique, cette relation à la réalité. D’ailleurs, ces références prennent une tournure complètement bouffonne quand Takashi, appelé par son amie à témoigner sur son expérience de réfugié, sabote son intervention. Quant au conseiller municipal du love hôtel qui ne peut être actif dans une chambre qu’avec une certaine musique, il se trouve ridiculisé lorsque Takashi, involontaire disc-jockey, décide de gripper la machine.

 En quelques scènes, Kôji Fukada parvient à mettre en place une vraie densité à son film, avec des personnages dont la rencontre entraîne des frictions successives, comme celle entre la fille de Ukichi et le professeur venu retrouver Mikie, la tante de Sakuko. Le marivaudage culmine dans une scène où explosent les frustrations les plus diverses. Tout à coup, on semble retrouver le ton des films d'Hong Sang-soo, quand la prise d'alcool est propice à la levée des inhibitions. A ce moment-là, les personnages de "Au revoir l'été" n'ont pas seulement quitté une saison, ils s'engagent alors sur un chemin plus mature.

 

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commentaires

C
je pensais à 'Été précoce' d'Ozu, je viens de lire sur le net que les deux enfants fuguent... je l'ai vu mais ne me souviens pas.
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C
Avis aux cinéphiles et à l'auteur de cette belle critique : Sakuko et Takashi parlent de deux films lorsqu'ils marchent sur les rails du train vers la fin du film, un film américain où des enfants découvrent un corps ('Stand by me'), le second film, décrit par Takashi : vieux film japonais où deux enfants marchent sur des rails et la petite fille s'écrie : 'Je voudrais partir loin !' (Naruse, Ozu ?)<br /> Merci pour votre aide...
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