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12 janvier 2015 1 12 /01 /janvier /2015 22:04

 

 

 

 

 

Timbuktu

Film de Abderrahmane Sissako

Avec Ahmed Ibrahim, Abel Jafri, Toulou Kiki, Kettly Noël, Hichem Yacoubi

 

 Parmi les évènements contemporains brutaux qui se sont déroulés ces dernières années dans le monde, la prise de Tombouctou par les islamistes, et l'instauration de la charia qui s'en est suivi, a jeté un effroi qui continue à traverser les esprits. Le fondamentalisme islamique gagne du terrain, de par son éparpillement et l'amplification des groupes radicaux (Boko Haram en est, en Afrique, l'exemple le plus éloquent), et on arrive à peine, en voyant "Timbuktu", à croire que cet évènement tragique serait derrière nous.

 Il faut dire que les nombreux mausolées détruits par les islamistes sont désormais en phase de reconstruction et que le traumatisme suscité par ces actes radicaux, s'il en rappelle d'autres de triste mémoire (la destruction des Bouddhas de Bamiyan par les talibans en Afghanistan), continue à se mêler avec d'autres actes de radicale intolérance (les exactions de Boko Haram et de l'Etat Islamique, entre autres).

 En s'appuyant sur ce sujet brûlant pour réaliser "Timbuktu", Abderrahmane Sissoko surprend. Quoi de plus difficile, sans doute, que de tirer du réel vibrant et horrifique la matière d'une trame fictionnelle ? Que de s'appuyer sur l'actualité par le prisme d'un acte fondateur (la lapidation de deux amants) pour ériger une histoire où résonnent toute sortes de voix et de langues - on y parle tamasheq, arabe, français, songhaï, bambara.

 Autant le dire : dans son approche d'un moment contemporain angoissant "Timbuktu" est l'exact opposé de "Eau argentée", de Ossama Mohammed et Wiam Simav Bedirxan : les deux films, présentés à Cannes offrent une vision largement antithétique. Là où le montage chaotique de "Eau argentée" repose sur un assemblage d'images glanées sur You Tube - et dont la réitération d'images violentes le plonge dans une complaisance sans nom -, celui de Sissako travaille plutôt la question du retranchement.

 Il règne ainsi sur "Timbuktu" une impression de flottement, d'apesanteur. On y sent à la fois l'immensité du désert, propice à rendre les corps lourds, lents, comme pris dans un cycle comateux, tout comme l'approche de Sissako, pudique, intimiste, amène sa caméra à se centrer sur quelques personnages. A proprement parler, pour peindre un sujet aussi délicat, on peut dire qu'il n'y a pas d'éclair de violence dans "Timbuktu". Les trois séquences les plus dures dans le film (l'ouverture, où l'on voit des statuettes détruites par des tirs, en forme de métonymie de la destruction des mausolées ; la lapidation des amants, séquence rapide, coupée dans son élan, et les coups de fouet donnés à la chanteuse) indiquent chez Sissako ce choix de ne pas surenchérir sur la violence. La séquence de la mort "accidentelle" de l'homme (Amadou) qui a tué une vache se résume en un plan large, lointain, esthétiquement superbe.
 
 C'est dire que l'option de "Timbuktu" n'est pas de représenter la violence sur le mode du conflit, qui serait signifié par des actes de résistance. Dans le film, elle semble intériorisée, voire intrinsèque, comme si la présence des islamistes était une part du réel, quand bien même elle serait mal vécue. Le juge qui tranche, qui finit par condamner Kidane, assoit cette impression d'un ordre du monde inébranlable. C'est cette part de l'univers de Sissako qui transparaît ici, et dont "La vie sur terre" représenterait un titre emblématique.

 En cela, on peut ressentir une gêne à voir les choses suivre leur cours, comme cet islamiste manifestant une attirance pour la femme de Kidane, sans que cela produise aucun rejet. D'ailleurs, c'est en arrachant le couple de touaregs à leur espèce de bonheur languide, en les extrayant de la bordure du désert par l'arrestation de Kidane, que Sissako insuffle à son film un frémissement narratif, une tension dramatique qu'il n'avait pas jusque là. Le couple de touaregs et leur fille, dont la beauté frappe, prélevés de leur espace paradisiaque, sont projetés tragiquement dans un univers d'intolérance, dont l'issue n'ouvre pour autant sur aucune perspective positive.

 "Timbuktu" n'est donc pas un film de révolte, à l'inverse d'un "Moolade" de Sembene Ousmane (où figure en miroir une fameuse scène de flagellation). Et si le film de Sissako ne s'engage pas sur cette voix, avec comme perspective la restauration de la tolérance, c'est que quelque part il doit savoir que la bataille est loin d'être gagnée. Dans cette perspective, la trame de "Timbuktu", globalement atone, ne représente qu'un bref moment dans l'épaisseur de l'horreur.

 

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