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18 décembre 2015 5 18 /12 /décembre /2015 22:15

 

 

 

Ixcanul

 

Film de Jayro Bustamante

 

Avec Maria Mercedes Coroy, Maria Telon, Manuel Antun, Justo Lorenzo

 

 

 Des films venant du Guatemala, il est rarement donné d'en voir en France. Aussi, la sortie de "Ixcanul" suscite autant une curiosité liée au défrichage cinéphilique d'une terre inconnue, qu'une crainte de voir cette découverte passer par le prisme d'une vision ethnographique.

 

 Mais le début du film, exemplaire, vient déjouer tout de suite cette crainte : le visage de Maria, la jeune maya, investit le plan, à tel point que l'on peut déjà envisager ce point de départ comme l'acte de naissance d'un film. Le visage est conçu comme un monde en soi, sans coup de force significative. Tout juste sent-on, dans l'immobilité de la jeune femme, une certaine rigidité dans la pose, une préparation. Des mains qui commencent à cercler la tête d'un bandeau décoratif. On subodore qu'une cérémonie se prépare, mais ce n'est que plusieurs séquences plus tard que se bouclera ce mouvement préparatoire, lorsque son destin d'épouse se dessinera.

 

 L'immobilité de Maria, alliée à une impression de passivité inaugurale, va se renforcer dans les séquences qui suivent, en compagnie de sa mère, non pas pour signifier une quelconque soumission à un mode de vie maya, mais pour signaler une distance doublée d'indifférence. Maria donne l'impression d'être dans une présence-absence, semblant sortir d'un sommeil diurne quand sa mère l'invective à faire une offrande au volcan. On sent chez la jeune femme une conscience des gestes à accomplir (comme l'étonnante scène où elles font ingurgiter de l'alcool à des cochons pour faciliter chez eux l'accouplement) en même temps qu'un retrait.

 

 Grâce à cette figure féminine au fond assez opaque, le film de Jayro Bustamante s'imprègne d'une atmosphère naturaliste, où les actes sont accomplis sans que n'y perce un quelconque volontarisme. Les séquences s’enchaînent aussi sûrement que les actes du quotidien, et le fait que Maria soit promise, lors d'un repas, au patron qui fournit du travail à son père place les comportements sous le sceau d'une évidence fataliste. Et que Maria ait un amant, cela ne se fait aucunement sous l'angle d'une quelconque révolte contre les codes en vigueur, mais simplement parce que c'est ainsi.

 

 La quintessence de ce réalisme naturaliste est atteinte avec l'ahurissante séquence, pourtant filmée avec le plus de distance possible, qui montre Maria arrivant ivre devant le bar où, dans un premier temps, un homme sort pour uriner, puis son petit copain pour vomir. Le dépucelage qui s'ensuit, dans cette veine pour le moins sordide, entre en écho avec la scène des cochons.

 

 "Ixcanul" n'aurait pu avancer qu'à la crête de ce réalisme poisseux, étouffant, à force de vouloir s'extraire de la peinture d'une couleur locale. Pourtant, il s'en échappe en brossant de fines relations entre Maria et sa mère. Fondé sur la question de la transmission et de son dépassement, le film offre de beaux moments entre les deux femmes, comme ces séquences où elles sont toutes les deux à leur toilettes, nues. Cadrages resserrés qui participent de l'intimité et de la proximité et maintiennent au loin les hommes qui, dans le film, paraissent assez passifs (la mère ne dit-elle pas, à un moment, qu'une fois de plus, c'est elle qui va régler les problèmes ?).

 

 C'est au plus fort de ce cheminement entre la mère et la fille que le film bascule dans un surnaturel à la Bunuel, quand Maria enceinte, s'imprégnant de la conduite précédente de sa mère, décide d'adopter un rite prétendument magique pour chasser les serpents qui infestent les champs. Moment critique qui, s'il permet une conjuration de la superstition, emmène le film, dans son dernier mouvement, vers une curieuse option : le retour à une certaine réalité à la tonalité sociologique, en relation avec le rapt d'enfant. Un suspens final un peu vain qui, s'il rend "Ixcanul" légèrement bancal, n'en atténue pas pour autant la générosité de son approche.

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