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1 avril 2011 5 01 /04 /avril /2011 15:00

 

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                                                        Photo : Alain Fonteray 

 

 

Ma chambre froide

 

Texte et mise en scène de Joël Pommerat

 

Avec Jacob Ahrend, Saadia Bentaïeb, Ruth Olaizola

 

 

 Avec "Ma chambre froide", Joël Pommerat franchit un pallier supplémentaire dans son parcours d'auteur et de metteur en scène. L'année dernière, sa collaboration avec le théâtre des Bouffes du Nord s'achevait par le magistral "Cercles/Fictions". Cette saison, Pommerat a inauguré sa nouvelle collaboration avec le théâtre de l'Odéon en remontant "Pinocchio" et "Le petit chaperon rouge".

 

 Mises en bouche avant un nouveau virage dans son univers ? Peut-être, mais le virage réel ne tient pas tant à ce nouvel espace qu'il occupe, puisque, aussi bien avec "Pinocchio" que "Le petit chaperon rouge", une autre manière s'est dessinée chez le metteur en scène, fondée sur le récit fluide, portée ici par une voix-off, là par un narrateur. La matière réaliste, l'approche sociale, présentes aussi bien dans des oeuvres comme "Cet enfant" ou "les Marchands", contribuent à tisser une constance chez Pommerat, même si on semble désormais loin d'une pièce comme "Au monde", en raison notamment de l'éclatement de la forme en scènes brèves.

 

 De "Cercles/Fictions", "Ma chambre froide" conserve la structure du cercle, la radicalise même, puisque la salle des ateliers Berthier, méconnaissable, a été complètement transformée pour l'occasion. Nous sommes dans une arène, conviés à voir des personnages s'agiter, aimer, désirer, et surtout rêver, par l'intermédiaire d'Estelle. Jeune femme naïve, dévouée, elle ambitionne de monter une pièce de théâtre avec les collègues d'une entreprise, répondant à une contrainte de leur patron odieux. Celui-ci, condamné par la médecine, lègue à ses employés, à leur grande stupeur, son magasin et sa fortune, à condition qu'ils honorent sa mémoire.

 

 "Ma chambre froide" tisse ainsi une fiction sur l'aliénation : aliénation des employés à un patron, des employés à un idéal créatif, d'une soeur à un frère. Mais point d'effet marxiste là-dedans, même si l'aspect social, avec son cortège de discours lié à la gestion d'entreprise, est très présent. La force dramatique qui fait avancer cette pièce procède de la subversion permanente de cet effet de réel. L'un des procédés participant au trouble suscité par cette fiction est l'humour. On rit en effet beaucoup avec la dernière pièce de Pommerat. Et le rire émerge sur fond de décalage grandissant.

 

 Car "Ma chambre froide" est avant tout une fiction glaçante, qui mène ses personnages vers une exploration de leur zone d'ombre, remettant en question leur humanité. Ce conte cruel, en s'appuyant sur une veine sociale, introduit inexorablement une dimension horrifique. Cela tient à la volonté d'Estelle de mener à bien son projet de théâtre, de donner une forme tangible à ses rêves. C'est ainsi que les scènes les plus drôles sont aussi les plus sombres, tournant autour des répétitions, comme celle où le frère violent d'Estelle humilie les employés en les obligeant à répéter, à quatre pattes, qu'ils adorent le théâtre.

 

 Que dire de la dimension onirique chez Pommerat, si ce n'est qu'à l'instar de la fin de "Cercles/Fictions", elle contient une force visuelle non démentie. La scène du trio de personnages à grosse tête, figurant aussi bien l'enfance qu'un univers monstrueux digne de Jérôme Bosch, ajoute à la fascination qu'on peut éprouver.

 

 Le travail du son, particulier chez Pommerat par l'usage systématique de micros, prend ici un tour singulier dans sa façon de dessiner des personnages. Pas besoin que le méchant crie pour asseoir son pouvoir : au contraire, le timbre de l'acteur qui incarne le patron se fait souvent étouffé, posé à l'extrême, créant un décalage entre ses contours d'humanité monstrueuse et son expression feutrée, parfois difficilement dicible. Son irréalité fantasmatique est à ce prix. Le frère d'Estelle, avec son accent si particulier, sa sur-expression verbale - quand son corps à lui reste souvent dans l'ombre -, accentue cette tension contradictoire entre voix et corps. Il prend parfois même des accents féminins troublants, comme pour signifier qu'il serait l'autre face de sa soeur. Et, comme souvent chez Pommerat, une scène de violence (le frère tapant à coup de batte sur un des employés), acquiert une force réaliste uniquement par la puissance sonore déployée.

 

 Dans ce flux incessant des corps, dans cette interaction aliénante rendus  à travers des séquences cursives, il ne reste plus qu'à trouver un apaisement en dénouant les tensions dramatiques ; tenter de retrouver une ivresse, en s'adonnant à une sorte de transe. C'est le beau final où Estelle , juchée sur sa machine, se laisse plus emporter par elle qu'elle ne la conduit. Scène de déverrouillage, d'emportement incontrôlé qui laisse la place ouverte à de nouvelles rêveries.

 

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