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10 février 2019 7 10 /02 /février /2019 09:28

 

Munis de leur luth respectif, Sohrab Pournazeri et Homayoun Sakhi ont enflammé la scène du Théâtre des Abbesses. Dans un dialogue inspiré, ils ont prouvé avec maestria que la musique n'a pas de frontières.

 

    Sohrab Pournazeri, luth tanbur, et Homayoun Sakhi . au rubab                                  Théâtre des Abbesses

 

 

Rencontre musicale Iran-Afghanistan

 

Avec Sohrab Pournazeri, tanbur, Homayoun Sakhi, rubab, Siar Hashimi, tabla

 

 

A priori, la rencontre entre Sohrab Pournazeri et Homayoun Sakhi relavait de l'évidence. Deux pays frontaliers, l'Iran et l'Afghanistan, une langue commune, le persan, et, selon l’appartenance ethnique, une capacité à voir sa sphère d'influence musicale s'étendre. Pour autant, que les deux hommes soient rompus à l'improvisation, leur style conserve des propriétés telles que les voir évoluer sur la scène du Théâtre des Abbesses contient autant de surprises que d'assister à une rencontre entre musicien indien et occidental.

 

Car l'improvisation dont on parle, elle prend un tour radicalement différent, selon que l'on se place d'un côté ou de l'autre. Chez Sohrab Pournazeri, le premier à apparaître, son instrument fétiche, le tanbur, ne serait-ce que par son nom, contient déjà autant d'éléments de surprise permettant de se démarquer des lignes d'identification établies. Petit luth au son cristallin, il n'appartient pas à l'organologie de la musique traditionnelle persane. Le maître luth en la matière est le tar, qui accompagne si bien la voix. Le tanbur évoque, à la fois par sa taille et son timbre le setar, plus ancien (et parait-il, inspirateur du sitar indien). Son utilisation renvoie à une musique mystique, qu'explique les origines de Sohrab Pournazri, né à Kermanshah, dans le Kurdistan iranien.

 

Yeux fermés, les doigts égrenant les notes sur les cordes, produisant des sons cristallins, d'une infinie délicatesse, Pournazeri installe dès le départ un registre méditatif, proche des développements des ragas indiens. Mais la technique, elle, est profondément différente : comme pour le setar, un seul doigt, en courant sur les cordes, suffit à imprimer un univers aux effets sonores multiples. Et les accélérations, qui voient alors les doigts de la main droite opérer des roulements, font basculer cette esthétique du côté de la musique de barde d'Asie centrale, particulièrement le Kazakhstan. La virtuosité n'est pas loin d'évoquer ce galop du cheval qui imprègne cette musique des steppes. Mais Pournazeri, passant de la vitesse à une exécution plus mesurée, impose une atmosphère mouvante. Au tabla, Siar Hashimi surprend par sa capacité à accompagner ces changements de tempo, donnant à son instrument une élasticité que l'on n'est pas habitué à voir dans le style afghan.

 

Cette agilité percussive permet le lien avec la partie suivante, quand Homayoun Sakhi entre à son tour sur la scène du théâtre des Abbesses. Si le musicien joue lui aussi la plupart du temps les yeux fermés, il arrive à les ouvrir pour établir une complicité plus naturelle avec Siar Hashimi, son confrère afghan. Mais surtout, l'intériorité est toute autre chez ce musicien virtuose. D'autant plus que son instrument, le rubab (dont on dit qu'il serait l'ancêtre du luth indien sarod) appelle, par ses sonorités éclatantes, une expressivité plus immédiate. Surtout, l'improvisation, dans ce style flamboyant afghan, est éloigné du schéma stylistique iranien : le développement procède par amplification successive, comme si, à chaque schéma mélodique patiemment élaboré, d'autres notes venaient se rajouter comme pour constituer un bloc plus solide. Une véritable édification progressive. Un art du tâtonnement, où l'élaboration, de plus en plus intense et virtuose, engage la musique sur des pentes détonantes.

 

Quand, dans un registre complètement différent, Homayoun se met à chanter, d'une voix chaude aux accents mélancoliques, la virtuosité est abandonnée au profit d'une forme plus populaire ; manière de signifier que dans cette musique afghane, l'approche savante n'est jamais très éloignée d'une habitude plus festive.

 

Lorsque, dans la partie finale, les deux musiciens se retrouvent enfin pour dialoguer, ce n'est pas pour faire feu de leur virtuosité respective. Au contraire, l'élan est feutré et comme dans le jugalbandi indien (rencontre entre deux musiciens), les notes élaborées par l'un trouve souvent un écho dans celles de l'autre. Les deux musiciens s'expriment comme s'ils étaient le miroir de l'autre.

 

Dans cet échange, Homayoun Sakhi, disposant son rubab dans une autre position, offre un moment aussi sidérant qu'inattendu : il transforme son luth en cithare, en égrenant avec ses doigts directement sur les cordes des sonorités jamais entendues. Là encore, on a l''impression de basculer dans la sphère indienne, tant les sons produits rappellent le génie musical d'un Shivkumar Sharma avec son santour, instrument qu'il a élevé au rang de soliste de la musique hindoustanie.

 

C'est sans doute l'enseignement le plus profond de ce magnifique concert : que les instruments, malgré leur caractère géographique marqué, font voler en éclat les frontières, tant, au contact d'autres formes, elles font constamment évoluer leur style vers des sphères inattendues.

 

Retrouvez le concert ici

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