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13 mars 2012 2 13 /03 /mars /2012 10:47

 

 

 

 

 

 Sur la planche

 

Film de Leïla Kilani

 

Avec Soufia Issami, Mouna Bahmad, Nouzha Akel, Sara Betioui

 

 Elles sont quatre, mais c'est comme s'il n'y en avait qu'une. Celle-ci, Badia, les autres en quelque sorte tournent autour, essaient de s'agréger à son énergie, à sa détermination, à sa révolte. Badia est le moteur de cette fiction à caractère réaliste, où l'implacable blancheur d'une usine de décorticage de crevettes à Tanger prend l'allure d'une installation. Tout est propre, net, monochrome, d'un alignement terrifiant, déshumanisant.

 

 Le film commence avec la voix-off singulière de Badia, manière tranchée de poser son rapport au monde, marquant une intériorité tendue. Alignement de sentences, matière langagière destinée à spécifier sa détermination, à quadriller et enfermer sa vision du monde : "Je ne vole pas, je récupère" ; "Je ne me prostitue pas, je m'invite". Tout est signifié dans cet aplomb : le réel est là, mais elle l’oriente à sa guise. Comme une inversion de la proposition phare du maître du néo-réalisme, Roberto Rossellini : "La réalité est là. Pourquoi la manipuler".

 

 C'est en cela que la blancheur irréelle de l'usine, la géométrisation des corps, crée une tension par rapport à cet univers dépeint dans une veine qui se voudrait ô combien réaliste, précisément. C'est là aussi que se crée la révolte, le désir - de passer de l'autre bord, du côté des "textiles", au sort plus enviable, représenté par Nawal et Asma, plus citadines. Jusqu’à ces mots échangés, dans une ambiance de complot, masque hygiénique ôté, donc d’autant plus audibles, sans que cet écart ne soit sanctionné.

 

 Une contradiction douloureuse habite ce personnage émouvant. S'il y a une volonté farouche de progresser dans la vie, la réalité, sous un angle trivial, la rattrape, avec cette odeur insistante de crevette qui lui colle à la peau. L'obsession hygiéniste qui s'ensuit (se récurer le corps inlassablement pour gommer la moindre trace) n'est en fait pas qu'une question d'odeur. Sa compère Imane n'est jamais montrée recourant à ce rituel. L'hygiène, chez Badia, c'est avant tout la lutte contre soi-même, le désir de n'être empêché par rien. Ces scènes sont sans doute montrées avec un peu trop d'insistance par la cinéaste, mais elles contribuent à renforcer la tension inscrite chez cette femme, active jusqu'à la dispersion, mais vulnérable par ce repli sur son le corps.

 

 L'enfermement chez Badia déborde la question du corps, puisque, depuis le début, c'est le langage qui marque son écart. Bien des phrases prononcées en off, comme celles adressées à Imane, sont souvent incompréhensibles, ce que cette dernière lui renverra assez violemment. Cet écart langagier propre à susciter des moqueries est prolongé par le mode d'appréhension visuel auquel la réalisatrice recourt - une utilisation particulière des focales.

 

 Au départ, Badia, avec son omniprésence dans le cadre, semble avoir du mal à cerner ce qui l'entoure, renvoyé avec pas mal de flou - comme si la réalité n'existe que de manière accessoire pour elle, d'où le repli sur des préoccupations corporelles. Mais au moment où les deux jeunes femmes venant former leur quatuor prennent de l'importance (Nawal et Asma), jusqu'à organiser un coup, Badia devient statique, à la limite de l'hébétude, bouche ouverte, suspicieuse, doutant encore de ce qu'on lui propose. Le film se clôt pour elle dans une ultime contradiction, entre reprise en charge d'une opération et persistance d'une obsession.

 

 

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