Après son spectacle fleuve "Ça ira (fin de Louis)", Joël Pommerat propose un opus à priori plus modeste, entre approche réaliste à travers le langage et projection futuriste à l'ère des robots. Un cocktail détonnant et réjouissant.
Photo : Élisabeth Carecchio
Contes et légendes
Création théâtrale de Joël Pommerat
Avec Prescillia Amany Kouamé, Jean-Edouard Bodziak, Elsa Bouchain, Lena Dia, Angélique Flaugère, Lucie Grunstein, Lucie Guien, Marion Levesque, Angeline Pelandakis, Mélanie Prezelin
De la même façon qu'on n'attendait pas réellement Joël Pommerat sur un sujet historique tel que la Révolution française avec « Ça ira (fin de Louis) », la découverte de son nouvel opus, « Contes et légendes » se révèle une véritable surprise. Mais peut-être qu'au fond, cette surprise ne relève pas tant d'un changement de cap radical que d'une attente finalement détournée : le succès de la pièce fleuve semblait appeler, par son titre, une suite, alors qu'on se retrouve avec une histoire de robots projetant des lueurs de science-fiction, là ou déjà « Ça ira (1) fin de Louis » s'éloignait de la dimension onirique, devenue alors un marqueur de l' univers théâtral de Joël Pommerat.
Pourtant, avec un titre comme « Contes et légendes », l'auteur et metteur en scène remet au centre d'une intrigue principalement constituée de saynètes, une certaine irréalité, rejoignant les adaptations des contes comme « Pinocchio » ou « Cendrillon ». Et si son approche de ces célèbres contes était décalée, « Contes et légendes » surprend par un mélange détonnant entre une forme de réalisme et la dimension fantastique qui l'enveloppe.
L'une des premières surprises de cette dernière pièce, donnant à l'ensemble une aura de virginité, tient à l'inflexion conduisant Pommerat à diriger non plus les membres de sa troupe, avec lesquels il a mis en scène tant de chefs d’œuvre, mais des jeunes (et pas n'importe lesquels, on le verra). Si Joël Pommerat avait déjà abordé le thème de la jeunesse de manière indirecte dans « Cet enfant », force est de constater qu'avec « Contes et légendes » une rupture s'opère, contribuant à conférer à la pièce un souffle impressionnant.
La première rupture, frappante d'entrée de jeu, tient à la violence langagière liée à la mise en présente de jeunes. Une violence verbale qui, si elle est identifiable pour tous, renvoie à une actualité des banlieues, un ancrage donc contemporain, que l'on n'attendait pas chez le metteur en scène d'univers onirique, quand bien même il a déjà produit des œuvres marquant une interrogation sur des thèmes sociaux (dont « Les marchands » constitue le fleuron).
La force de « Contes et légendes » - derrière, au fond une modestie de la mise en scène, débarrassée de toutes afféteries, avec une scénographie discrètement éclairée par Eric Soyer – repose sur cette combinaison audacieuse entre des thèmes liés à une immédiateté aux contours réalistes (la violence des rapports sociaux), et une irrésistible poussée de l'intrigue vers un aspect digne de la science-fiction, avec la présence de robots (la scène inaugurale, dans sa violence verbale confronte l’immédiat avec l'improbable, liée au doute sur l'identité humaine d'une jeune en présence). Mais que Pommerat lorgne vers ce champ inédit chez lui ou vers le conte proprement dit, c'est en veillant à donner un caractère profondément humain à sa pièce.
En cela, la plus grande surprise de « Conte et légendes », renforçant le trouble suscité par sa dimension fantastique, tient beaucoup à des questions d'incarnation : confier tous les rôles, masculins et féminins, à des jeunes femmes, pour en faire une interrogation sur le genre, mais au fond débarrassée de toutes velléités théoriques ou démonstratives. Qui plus est, l'humour, dominant à travers nombre de scènes cocasses, entraine une jubilation sans partage. Si Pommerat, après le succès de « Ca ira (fin de Louis) » était en proie à un doute dans son parcours théâtral (il avait envisagé d'arrêter), le frémissement ressenti devant « Contes et légendes » prouve qu'il n'a rien perdu de sa veine créatrice.
Face à l'éclosion de jeunes metteurs en scène ces dernières années, à l'ambition affirmée (dont Julien Gosselin serait le fer de lance), le théâtre de Pommerat n'a en fait rien perdu de sa capacité à faire frétiller l'imagination. Sans s'appuyer sur l'utilisation de la vidéo, si éprouvée maintenant, il prouve que l'usage des micros (dont il fut un précurseur) renforce toujours autant cette sensation de proximité avec les comédiens. En cela, « Contes et légendes », au titre décalé, tire sa force de cette impression où distance du thème et présence vibrante des personnages produit une alchimie féconde.