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20 novembre 2009 5 20 /11 /novembre /2009 11:31

Adieu Gary

 

Film de Nassim Amaouche

 

Avec Jean-Pierre Bacri, Dominique Reymond, Yasmine Belmadi 

 

 

  Il y a une pincée de « L’esprit de la ruche » dans « Adieu Gary ». Non que le film de Amaouche atteigne le degré d’onirisme de l'oeuvre de Erice - celle-ci en est irrigué de part en part -, mais la manière dont il bascule progressivement vers une dimension surréelle - signifiée dans une séquence remarquable vers la fin -, le porte vers des cimes inattendues pour un premier film. Il a d’ailleurs obtenu le Grand Prix de la semaine de la critique au dernier festival de Cannes. D’emblée, Amaouche signifie son désir d’inscrire la nature de son film, au sujet purement social, dans des espaces autres que ceux du naturalisme misérabiliste ou du réalisme poisseux.

 

 Le film, dès le départ, devient une entreprise de désamorçage systématique des fictions attendues autour d’un jeune sortant de prison. Ni fiction de rachat (pas de rédemption sociale par l’accession à un statut professionnel supérieur) ni trame autour de la vengeance pour Samir, le film avance avec l’intention de déjouer les significations, d’atténuer les motivations. On sait peu de choses sur les raisons qui ont conduit Samir en prison si ce n’est, bien après le début du film, qu’il a transporté de la drogue.

 

 On comprend bien plus tard encore que la figure centrale du trafic reste le petit homme handicapé, affalé dans son fauteuil au bord du trottoir, moins perdu dans une posture contemplative qu’attendant que des hommes viennent glisser de l’argent dans une fente de son fauteuil. A son retour, Samir l’étreint avec chaleur et sourire. Mais plus tard, au moment où les deux hommes boivent un verre ensemble, Samir lâche tout à coup un reproche sur l’organisation de ce trafic et s’en va. Aucunement initiée par une tension préalable, la scène surprend par sa résolution subite. Rien ne s'en suivra.

 

 Tout ce qui, dans le fil narratif du récit, annonce une possibilité de dépassement d’un individu vers une sphère particulière (sociale, géographique ou amoureuse) se résorbe irrésistiblement. On ne verra pas partir au bled Icham, le frère de Samir, alors qu’il tente d’apprendre laborieusement l’arabe. L’idylle qui semblait s’annoncer entre Samir et Nejma (jouée par Sabrina Ouazani, découverte dans « L’esquive ») avec, comme point d’orgue une scène d’amour, se résoud dans la scène suivante entre eux, par le départ de celle-ci.

 

 Ce n’est pas pour autant que le film s’interdit tout espoir. Simplement, il inscrit ses strates narratives dans une autre dimension que celle de la progression. Francis, le père, incarne ce rapport au réel, à l’immédiat, auquel les personnages sont tenus de s’accommoder. C’est lui qui critique la volonté de son fils Icham de retourner au bled – il n’y est jamais allé -, comme il tente de défaire les illusions de Samir lorsque celui-ci abandonne un job dans un supermarché. Cela débouche sur la scène la plus tendue du film, où Samir réplique en mettant l’accent sur l’immobilisme de son père.

 

 On pourrait croire en effet que le rapport à la réalité de Francis, avec l’acceptation de l’immédiat qui le caractérise, le fasse glisser dans une inertie radicale. C’est en réalité lui qui s’insurge contre l’immobilité neurasthénique du fils de Maria (Dominique Reymond). Ce personnage bourru, s’il incarne celui qui, au nom de la transparence du réel défait les illusions (du départ, de l’accès à la reconnaissance), permet, dans un renversement paradoxal, de faire advenir une certaine irréalité dans un réel limité, offrant peu de perspectives d’avenir : « De l’irréel intact dans le réel dévasté », dirait René Char.

 

 Cela nous vaudra l’étonnante scène proche de la fin du film où deux dimensions semblent se confondre (une réalité physique et un statut onirique) avec cette apparition à cheval. L’aspect fantasmatique de ce surgissement prend d’autant plus de force que la réalité qu’elle investit est totalement familière. D’une « familière étrangeté » (Freud).

 

 C’est Jean Pierre Bacri qui prête son allure grognon à ce personnage briseur de rêve – ce qui ne l’empêche pas d’être à l’origine des moments les plus drôles du film. Il possède le corps idéal pour incarner ce personnage en apparence revenu de tout, installé dans l’espace avec la certitude de ne pas avoir à se dépenser en mouvements inutiles. C’est un corps qui ne déborde pas, porteur d’une expérience assurée, d’autant moins menacé par tout enlisement qu’il devient le moteur de la relance finale du film : réparer, au prix d’efforts physiques, la machine de son usine, en compagnie de son fils. C'est dans l'instant, dans l'espace immédiat que les choses peuvent se reconstituer, se régénérer.

 Dans la réalité, l'ouverture s'est arrêtée pour l'acteur Yasmine Belmadi (Samir), victime d'un tragique accident de scooter peu avant la sortie du film.

 
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