M'appelle Mohamed Ali
Pièce de Dieudonné Niangouna
Mise en scène de Jean-Baptiste Amado Tiemtoré
Avec Etienne Minoungou
On avait eu l'occasion, aux laboratoires d'Aubervilliers en 2014, d'assister à une prestation particulière de Dieudonné Niangouna, "Le Kung Fu", où l'auteur et metteur en scène livrait une interprétation extrêmement physique, fruit d'un apprentissage soutenu de cette pratique martiale, qu'il restituait avec maestria, virevoltant de façon virtuose sur des échafaudages.
Avec "M'appelle Mohamed Ali", si la question politique est le moteur fondamental de la pièce, celle de la présence d'un corps virtuose l'est tout autant. Il n'est dès lors pas étonnant que Dieudonné Niangouna s'empare de celui d'un des plus grands boxeurs de tous les temps pour en faire une pièce, où le tissu narratif se donne sur différents modes, contribuant à la rendre vertigineuse.
Mais cette figure mythique n'est pas livrée comme telle. Etienne Minoungou, le comédien, ne se glisse pas dans la peau d'Ali de bout en bout pour en incarner le personnage. C'est là que le texte de Niangouna, s'envisage comme une mise en abîme où un comédien joue à être un personnage, tout en s'en détachant constamment. "M'appelle Mohamed Ali" procède ainsi par des va-et-vient entre jeu vériste et distance critique, entre fascination d'un comédien pour un personnage, et le renvoie à sa propre réalité d'acteur africain.
Véritable pamphlet politique, le texte de Niangouna pourrait donner l'impression de se servir du personnage d'Ali comme prétexte à déverser des tirades furieuses contre le racisme. Les mots de Niangouna, tendus, savants, rendus par la bouche d'un seul comédien, sont comme autant de flèches décochées dans l'assistance. Mais le brûlot conserverait une sécheresse théorique si le dispositif adopté, et rendu brillamment par le metteur en scène, ne consistait pas à faire du spectateur le complice de ce témoignage.
L'interpellant constamment, le comédien va jusqu'à se faufiler dans les travées de la salle, saluant là un spectateur, provocant une autre sur la beauté du mâle noir. Adresses qui se révéleraient des facilités de one-man show si elles ne renvoyaient pas à une interrogation soutenue sur la question raciale. En ce sens, ce rapport privilégié qu'entretient le spectateur avec le comédien est renforcé par l'aménagement de la salle littéralement en salon (on y sirote un apéro, petite table basse posée devant soi). Heureuse transformation, qui évoque également, au niveau musical, les clubs musicaux constitués principalement de spectateurs blancs.
Etienne Minoungou, dans ce rôle à la fois de séducteur et de pamphlétaire, fait véritablement merveille. Tenir ce monologue, rapporter la capacité d'esbroufe de Mohamed Ali, tout autant que sa sincère révolte - qui culmine dans la réitération de son refus d'aller bombarder des vietnamiens pendant la guerre - tient véritablement de l'exploit. Sa prestation dépasse la fonction de comédien, puisque sa parole tient de l'ampleur du griot (il est par ailleurs conteur). Sa plasticité dans le maniement des mots de Niangouna, le sentiment qu'il donne d'improviser par ses hésitations, ses clins d’œil au public, confèrent à son rôle une mobilité souvent surprenante. Il fait tout simplement jubiler la légende d'Ali.