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10 mai 2017 3 10 /05 /mai /2017 10:06

 

 

 

Erich Von Stroheim

 

Texte de Christophe Pellet

 

Mise en scène de Stanislas Nordey

 

Avec Emmanuelle Béart, Thomas Gonzalez, Laurent Sauvage (en alternance avec Victor de Oliveira).

 

 

 On aura tôt fait de comprendre que “Eric Von Stroheim”, loin de renvoyer à un quelconque portrait fantasmé du cinéaste et acteur d’origine austro-hongroise, travaille la question du masque, attitude que l’on prêtait à l’extravagant artiste aux productions cinématographiques démesurées. Ne serait-ce qu’avec le personnage joué par Laurent Sauvage, qui n’en finit pas de définir les costumes variés qu’il emprunte dans son activité de prostitué, la pièce définit cette orientation où la dimension ludique (épouser des identités diverses) est constamment adossée à une trivialité empêchant les personnages de révéler leurs désirs les plus profonds.

 

 “Erich Von Stroheim” fait ainsi un éloge du cynisme, loin du romantisme d’un film comme “Jules et Jim”, qui mettait, pareillement, une femme entre deux hommes. Ici, on serait plutôt du côté d’un Fassbinder, avec cette circulation des affects aussi bien entre homme et femme qu’entre deux hommes. Avec cette manière de faire graviter deux hommes autour d’une femme, Pellet donne une primauté surprenante à la figure féminine, non plus envisagée sous l'angle d'une quelconque soumission. Et c’est Emmanuelle Béart qui enfile les habits noirs de ce personnage, lui conférant une allure souveraine, appuyée par une voix rauque, débarrassée de toute tonalité sensuelle, toujours en mouvement, toujours pressée.

 

 A côté des phrases acides de Laurent Sauvage, Thomas Gonzalez, nu pendant la quasi totalité du spectacle (et ce, bien avant que le spectacle ne commence réellement), réussit à donner une vraie aura à son rôle. Ses déplacements successifs sur la scène, entre déhanchements destinés à attirer le regard de l’autre et agitation crâne, lui confèrent une allure graphique, tel un sujet arraché à un tableau classique.

 

 La rudesse des paroles émaillant une situation peu commune est tempérée par une mise en scène à la scénographie délicate tout en étant décalée, avec ces deux panneaux coulissant régulièrement comme pour métaphoriser une embrassade, tandis que s’élève, telle une ritournelle, un air de “Samson et Dalila”, de Camille Saint-Saens. Apogée lyrique de l’opéra français, son incongruité par rapport à la nature du spectacle se déroulant sous nos yeux, insuffle à celui-ci un élan certain, comme pour renforcer, chez les protagonistes, les plus secrètes espérances.

 

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20 avril 2017 4 20 /04 /avril /2017 14:06

 

 

 

Félicité

 

Film d'Alain Gomis

 

Avec Véro Tshanda Beya (Véronique Beya Mputu), Papi Mpaka, Gaëtan Claudia
 

 

 Le précédent film d'Alain Gomis, "Aujourd'hui", qui relatait la dernière journée d'un condamné, avait, en dépit de son sujet mortifère, une grande douceur : celle des moments d'acceptation sereine avant toute disparition. Car cet homme, Satché (joué avec retenue par Saul Williams), élu par la communauté, vivait son destin sans cri, sans révolte, et passait ses derniers instants à aller à la rencontre des autres.

 

 "Félicité", en semblant s'éloigner de cette veine mélancolique, fataliste, puise son intrigue dans une matière réaliste, où la course contre la montre d'une mère pour sauver son fils prend des allures de film à suspens. L'emballement inscrit au cœur du film, opposé aux phases de pur écoulement du temps où Félicité chante dans un bar, définit une tension palpable, une précipitation des effets. Tout le contraire à priori de "Aujourd'hui" et sa durée dilatée, nimbant la trajectoire de Satché d'une aura onirique. Pourtant, les deux films entretiennent de subtils connivences, précisément liés à cette façon d'occuper le temps alloué. Celui de Félicité, fondée sur l'accélération, est tout aussi fait de rencontres, de louvoiement spatial. Son parcours prend précisément des allures de révélation, lorsqu'à mesure qu'elle entre en contact avec les autres, son caractère se renforce d'une orgueil patent.

 

 Cela commence avec cette femme à qui elle confie de l'argent pour aller chercher des médicaments pour son fils, mais qui ne reviendra pas. Moment particulier traduisant l'égarement de Félicité, sa façon d'être au monde, sans adhérence, dans une sorte de passivité, d'acceptation molle. Le choix de Véronique Beya Mputu dans le rôle de Félicité participe de cette impression : plénitude d'un corps plantureux, autour duquel la caméra s'enroule, dans un mouvement d'adhésion d'allure cassavetienne. Dans les plans serrés, il y a tout autant tentative d'enserrer le corps dans un cadre que de le laisser s'échapper, pour en signifier l'irréductible liberté.

 

 C'est ce parti pris esthétique, d'un baroque visuel, qui ouvre la portée foncièrement réaliste de "Félicité". On veut bien croire que l'intrigue s'appuie sur une dimension documentaire forte, rendant compte des travers de la société congolaise (la difficulté à se faire soigner si on n'a pas d'argent) ; la traversée à moto étant là également pour rapporter un état social à sa condition géographique, urbaine. Mais tout comme dans "Aujourd'hui", Alain Gomis dépasse ce cadre à-priori balisable (là un rite mortifère, ici une course contre la montre morbide), ce chantier réaliste, pour y injecter cette part d'irréalisme fantasmatique.

 

 Ce glissement culmine dans l'une des séquences les plus fortes du film, véritable point de bascule, quand Félicité, en quête éperdue d'argent, va voir une figure éminente, en employant un subterfuge pour forcer le barrage humain de la villa où il réside. Scène totalement improbable, dont on ne comprend pas la motivation et les liens supposés de Félicité avec cet homme, l'amenant même à courir un risque physique. Mais elle définit avec beaucoup de tension dramatique l'accomplissement progressif de la femme dans sa démarche de conquête, au prix d'une poussée d'irrationnel.

 

 A côté de ce programme obsessionnel, clair et net (trouver de l'argent), "Félicité" ne s'encombre pas de paroles sur-signifiantes. Le chemin qu'elle accomplit en présence de son voisin amoureux marque une longue pause dans le film, où toute tension se dérobe. Et entre ce prétendant et le fils, c'est le même tempo lent qui s'impose, dès lors que la motivation initiale, moteur du régime du film, n'est plus mise en avant. Dans ces moments de stase, où les personnages se regardent, se découvrent, Gomis inverse toute progression dramatique, les liens se faisant dans un délassement salvateur.

 

 Dommage pourtant que le cinéaste introduise dans son film des séquences musicales chorales où, au fil de répétitions, une voix d'opéra s'élève. On ne comprend pas bien la nécessité de leur présence qui non seulement hachent le film, mais installent de façon incongrues un quotient intellectuel jurant avec sa force vibratilee. C'est peut-être pousser un peu loin la volonté de dépassement du réalisme, que la trajectoire de ses personnages assure seule avec suffisamment d'ampleur et d'humanité.

 

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13 avril 2017 4 13 /04 /avril /2017 20:09

 

 

 

Loving

 

Film de Jeff Nichols

 

Avec Joel Edgerton, Ruth Negga, Marton Csokas, Nick Kroll, Michael Shannon

 

 

 

 Au fond, "Loving" commence là où beaucoup de films s'arrêteraient, dans un mouvement pacifié : un homme et une femme s'étreignant, assis sur le perron d'une maison. Elle lui annonce qu'elle est enceinte. On sait à quel point, dans n'importe quel contexte romanesque classique, l'annonce d'un tel événement vient sceller une histoire, souvent jalonné de troubles, d'épreuves extérieures, de doutes, et de dépassements. Événement qui vient cimenter, en bien des cas, la victoire sur l'adversité. Dans cet introduction paisible, dépourvue de joie explosive, mais de contentement souriant et pudique, Jeff Nichols marque d'entrée de jeu son empreinte décalée par rapport à un récit teinté de classicisme historique.

 

 Car "Loving", c'est d'abord une histoire vraie, ayant fait d'ailleurs l'objet d'un documentaire récent, sur lequel s'est appuyé Nichols : "The Loving story", de Nancy Buirski relatant la vie de ce couple mixte obligé de quitter l'état de Virginie, qui proscrit l'union entre noirs et blancs. Fort de cette matière narrative puisée dans le réel, Jeff Nichols n'en livre pas pour autant un film mimétique, drapé dans une reconstitution sage ; quand bien même par ailleurs le cinéaste pousse la véracité jusqu'à choisir des comédiens ressemblant aux vrais protagonistes (Joel Edgerton, Ruth Negga).

 

 "Loving" est bien un film qui, dans sa dynamique humaine, s'ancre totalement dans l'univers du cinéaste américain, axé sur la polarisation sur des figures individuelles. Ici, quelque soit le moment historique charnière représenté (concentré en une formule choc et resserrée : "Loving contre l'Etat de Virginie"), ce qui est mis en avant, c'est un cadre intimiste, quand bien même, dans la question de la fuite, il est question d'espace, de territoire. S'il y a bien une tension entre l'individu et l'histoire évoquée par ce décret, il n'en demeure pas moins que Nichols s'attache avant tout au parcours de ses deux comédiens principaux, les filmant souvent dans un cadre serré, à coup de plans rapprochés.

 

Comme dans "Take Shelter", dont il se rapproche le plus par sa manière de représenter le personnage masculin, "Loving" axe sa caméra sur une figure entêtante. Pourtant, le Loving du film a bien des différences avec le Curtis LaForche de "Take Shelter" : là où, dans ses obsessions, LaForche ouvre un territoire imaginaire incommensurable, au point d'y entraîner sa famille, Loving est un personnage au contraire très éloigné de toute transcendance métaphysique ou autre. Il y a même une forme d'animalité brute chez lui, aux actes réduits à leur essence, et il n'y a en lui aucune préoccupation morale ou existentielle. Quand le shérif (après l'avoir mis en prison) lui rappelle qu'il savait qu'il avait franchit un interdit en s'unissant à une femme noire, la réplique qui revient chez Loving, notamment après son emprisonnement, c'est : "Ce n'est pas juste".

 

Cette phrase, loin de marquer une conscience aiguë de la justice sociale chez Loving, traduit au contraire un rapport au monde où la justice serait liée à une humanité intrinsèque, non fondée sur une quelconque séparation des races ou de généalogie – argument appuyé, sur un mode abject, par le même shérif lui rappelant les unions consanguines dans son entourage. La trajectoire de Loving ne s'inscrit dans aucune continuité historique, et c'est la raison pour laquelle, lors de l'intervention des jeunes avocats, nul enthousiasme n’apparaît dans la première poignée de main.

 

Au contraire, là où les jeunes coqs de la justice - conscients de se trouver face à un cas pouvant les auréoler d'une gloire dans la résolution de cette affaire - sont portés par une détermination souriante, Loving les envisage plutôt comme des intrus venant fissurer la plénitude de son rapport au monde, nullement fondée sur des dialectiques ou des oppositions. Et à cet égard, Nichols donne à ses jeunes loups une aura un peu ridicule, sourire forcé, assez déstabilisés par la résistance minérale de Loving, très perceptible lors du refus ferme de celui-ci de retourner dans l’État de Virginie pour se faire arrêter.

 

Face à ce bloc ancré dans son rapport au monde, faite de certitude innocente, inconsciente, il fallait un liant, une médiation, capable de maintenir la connexion avec une histoire devant nécessairement aller de l'avant. C'est Mildred, la femme de Loving, qui l'assume, par sa souplesse, sans que pour autant sa détermination ne faiblisse. Dans sa fonction réparatrice, elle fait advenir une proximité des corps, favorisant jusqu'à l'intrusion d'un photographe (joué par un Michael Shannon presque méconnaissable) au sein de leur maison. C'est par le jeu tout en finesse de Ruth Negga, en sourires conciliants, que "Loving" prend une dimension sensible, loin de toute volonté édifiante que pouvait laisser augurer un tel sujet. Et c'est lé réussite profonde de Jeff Nichols de faire couler ses personnages dans la bain de l'histoire avec autant de fluidité.

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10 avril 2017 1 10 /04 /avril /2017 21:04

 

     Photo : Anne Van Aerschot

 

 

A love supreme

 

Chorégraphie de Anne Teresa de Keersmaeker et Salva Sanchis

 

Avec José Paulo dos Santos, Bilal El Had, Jason Respilieux, Thomas Vantuycom

 

 

 

 Rien d'étonnant à voir Anne Teresa de Keersmaeker s'emparer d'une chorégraphie pour en livrer, bien des années plus tard, une nouvelle mouture. On en a encore un exemple récent avec "Verklärte Nacht" (La nuit transfigurée), créé en 1995, puis proposée sous une forme plus resserrée, mettant en avant la notion de couple. En effet, pour la chorégraphe, reprise n'équivaut pas à répétition – ce qui, dans le champ de la chorégraphie, va à l'encontre de toute notion de préservation d'une mémoire créatrice. Reprendre, c'est non seulement revivifier, mais transformer, injecter une autre sève, hors de toute réappropriation muséale.

 

 C'est ainsi que, conçu avec Salva Sanchis, "A love supreme", plus de dix ans après sa création (2005), nous est livré avec, comme effet immédiat, cette capacité à produire une puissance de déflagration que l'on ne croyait pas possible. Ceux qui avaient déjà assisté à la première version, sans pouvoir établir des différences avec la nouvelle, pourront tout au plus se dire : "Ça n'a rien à voir". Et c'est peut-être de cette façon qu'il faut appréhender la démarche d'Anne Teresa de Keersmaeker, en se disant simplement qu'il faut regarder "A love supreme" comme une nouvelle œuvre qui aurait, tel un reptile, abandonné son ancienne peau pour en revêtir une neuve.

 

 Se dire aussi qu'avec la musique de John Coltrane, moment phare de l'histoire du jazz, on tient un socle inébranlable, tellement mouvant et à la modernité toujours étincelante, que l'on ne peut que s'y confronter dans un perpétuel renouvellement. Et si la relation à la musique est essentielle chez de Keersmaeker, elle trouve ici une façon de s'exprimer ici particulièrement stimulante.

 

 Conçue cette fois-ci pour quatre danseurs (à l'origine, autour de Salva Sanchis, évoluaient aussi des femmes), la pièce s'engage dans une dynamique particulièrement intense, alors que le début, silencieux, posait des jalons chorégraphiques, tel un prélude muet. Et devant une telle musique, la science rythmique des deux chorégraphes ne consiste aucunement à se calquer sur les motifs thématiques de l’œuvre de Coltrane. La puissance d'improvisation qui la nourrit ne saurait souffrir des figures essentiellement répétitives. C'est ce qui rend cette version si passionnante, puisqu'on sait à quel point la chorégraphie d'Anne Teresa de Keersmaeker repose beaucoup sur des figures repérables (avec ses fameux formes tourbillonnantes). Ici – et en cela, on imagine que c'est aussi lié à l'apport de Salva Sanchis -, la danse se fait plus âpre, moins tenu dans ces combinaisons savantes maîtrisées.

 

 A la manière d'un "Sacre du printemps" versant Pina Bausch, "A love supreme", à mesure qu'il se développe, place en son centre une figure principale qui, en émoustillant les autres, les mène à un degré d'expressivité intense. Thomas Vantuycom, éblouissant dans ce statut de passeur, en impose non seulement par sa taille, mais par cette capacité à mêler haut degré de technicité et dépense débridée. C'est tout le prix de cette nouvelle version que de porter haut l'implacable pulsation rythmique d'une œuvre musicale majeure.

 

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6 avril 2017 4 06 /04 /avril /2017 21:19

 

 

 

Another Distinguée

 

Spectacle de La Ribot

 

Avec Maria La Ribot, Juan Loriente, Thami Manekehla

 

 

 Autant dire que pour apprécier le spectacle de La Ribot, il faut s’accommoder du fait que l’on sera soumis à une certaine frustration, tant le dispositif scénique adopté par la chorégraphe marque un défi aux canons de la représentation. Spectacle déambulatoire, certes, mais quand même circonscrit dans un lieu unique : la grande salle du Centre Pompidou, par laquelle on entre, du côté de la sortie de secours, presque en catimini, par effraction lente, du fait de la pénombre qui y règne.

 

 Manière de signifier d’entrée de jeu que cette approche est destinée à troubler le rapport visuel communément admis pour un spectateur, qui est que la lumière se fasse au moment où commence une œuvre sur une scène de théâtre. De fauteuils de la grande salle, on n’aura pas accès, un grand rideau séparant la scène de celle-ci. Cherchant ses marques, on tourne autour d’une structure en plastique noire, tels des adeptes d’une cérémonie secrète.

 

 Précisément, toute la difficulté, dans “Another Distinguée” est de réussir à trouver sa place de spectateur pour suivre la prestation de La Ribot et ses deux compères masculins, Juan Loriente et Thami Manekehla. Dans l’obscurité, comme pour ne pas perdre les traces des performeurs, certains s’y accrochent au point de se positionner au plus près d’eux, fermant totalement l’accès aux autres. Beaucoup de moments de frustration s’ensuivent, comme si ceux qui avaient trouvé une place de choix, s’érigeant en privilégiés, assistaient aux premières loges à une une cérémonie intimiste.

 

 Mais quand on arrive enfin à distinguer des scènes, c'est pour se remettre dans l'esthétique si personnelle de La Ribot, fondée sur cette proximité des corps qui passe par une mise en scène plastique. Traversée de la nudité, comme souvent, où le corps est abordé dans une approche pictural – il devient littéralement tableau sur lequel on trace des lignes abstraites. On discerne aussi, dans des approches physiques déliées, une attention au moindre mouvement de l'autre, en s'y calant au point de s’emboîter.

 

 Curieusement, c’est lorsque la lumière s’affirme un peu plus que cette tendance à l’agrégation des corps de spectateurs se délite un peu, certains consentant à s’asseoir, comme si le plus de luminosité marquait le retour à un fonctionnement plus rassurant, plus traditionnel, où l’on prend en compte la présence de l’autre. Et dans la séquence finale, où la discipline des uns et des autres, enfin retrouvée, participe à une visibilité accrue, c’est le moment pour les trois danseurs, dans un moment purement élégiaque, d’accomplir le retour de la lumière dans une explosion colorée. Le rouge conçu comme le moment ultime, prolongé, de la jouissance visuelle.

 

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3 avril 2017 1 03 /04 /avril /2017 21:32

 

 

 

Never, never, never

 

Pièce de Dorothée Zumstein

 

Mise en scène de Marie-Christine Mazzola

 

Avec Thibault de Montalembert, Sarah Jane Sauvegrain, Tatiana Spivakova

 

 

 Découvrir deux pièces de théâtre de Dorothée Zumstein, à quelques semaines de distance seulement, incite forcément à établir des comparaisons. La première, qui saute aux yeux, tient, dans l'imaginaire de l'auteure, à la façon de puiser sa matière fictionnelle dans une véracité historique. Dans "MayDay", présenté au Théâtre de la Colline, cela partait d'une fait divers sinistre : la condamnation d'une petite fille de 11 ans pour avoir assassiné deux enfants. Point d'appui réaliste, digne de manchette de journal à sensation, que Dorothée Zumstein dépasse pour livrer une succession de monologues sous forme de compte à rebours.

 

 Avec "Never, never, never", l'argument, s'il est réel, contourne toute notion de véracité pour déboucher sur une dimension onirique, pour ne pas dire fantasmatique : on y relate les échanges entre le poète Ted Hughes et ses deux femmes successives, Sylvia Plath et Assia Wewill, qui partagent l'horrible sort de s'être suicidé toutes les deux. Comme pour "MayDay", Dorothée Zumstein place ses personnages dans une strate les éloignant de cette approche inaugurale réaliste, puisque Ted Hughes, à la veille de recevoir un prix important, est visité par ces deux femmes.

 

 A la différence de la mise en scène de "MayDay" par Julie Duclos, toute en scénographie changeante et sophistiquée, celle de Marie-Christine Mazzola se signale par une sobriété affirmée. Des tables et des chaises pour tout décor, en décalage, comme pour marquer, dans un premier temps l'appartenance des personnages à des espace-temps différents. Approche aussi simple que délicate nous permettant de nous sentir transportés ailleurs. Il suffit d'une simple invocation, répétée comme une incantation, un prénom (Sylvia), pour que s'amorce cette impression de basculer dans une autre sphère. Les yeux fermés de Thibault de Montalembert juste avant, sont là pour renforcer ce lent basculement. Pour autant, cette impression d'évanescence, à mesure que les dialogues vont aller bon train, va créer un rapprochement des corps et, d'éthérée, la pièce va acquérir une dimension charnelle.

 

 C'est cette sobriété qui rend "Never, never, never" si touchant, favorisant la proximité du spectateur avec ce huis-clos présentant deux femmes différentes. Les deux comédiennes s'y entendent à les rendre singulières : au jeu discret et sensible de Sarah Jane Sauvegrain en Sylvia Plath répond celui, plus déluré et aérien de Tatiana Spivakova – qui va jusqu'à interpréter plusieurs personnages dans une scène loufoque. Thibault de Montalembert, avec un jeu nuancé, est très convaincant en amant égaré entre deux femmes.

 

 Malgré cette ténuité de la mise en scène, "Never, never, never" frappe par la densité de ses dialogues. En cela, il est sans doute plus profond que celui de "MayDay" qui, bien que présentant un récit à rebours à plusieurs voix, a la fluidité d'un pur écoulement verbal que rien ne vient altérer. Avec cette rencontre entre un vivant et deux mortes, "Never, never, never" tente de redonner une forme à des existences meurtries. Il y est moins question d'une quelconque forme de recherche de vérité que de refonder du lien, dans une ultime redécouverte de soi.

 

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29 mars 2017 3 29 /03 /mars /2017 17:56

 

     Photo : Tristan Jeanne Vales

 

 

Vera

 

Pièce de Petr Zelenka

 

Mise en scène de Marcial Di Fonzo Bo et Élise Vigier

 

Avec Karin Viard, Marcial Di Fonzo Bo, Pierre Maillet, Helena Noguerra, Lou Valentini

 

 

 Il faut peut-être, pour apprécier "Vera" à sa juste valeur, procéder à une mise entre parenthèse de la démarche profonde de l'auteur, Petr Zelenka : en peignant une femme arriviste, responsable d'un cabinet de casting, il cherchait à rendre compte de la plongée de son pays, la République Tchèque, dans le néo-libéralisme le plus effréné. Transposée sur une scène de théâtre française par le duo ébouriffant de Elise Vigier et Marcial Di Fonzo Bo, force est de constater que cette localisation initiale, en étant gommée, ne perd pas sa force, mais est simplement déplacée, pour opérer dans un registre tragi-comique, avec l'exploitation d'une veine délirante propre à ce duo.

 

 Plus encore, en confiant le rôle principal à Karin Viard, familière de leur univers, les deux metteurs en scène centrent l'action sur la comédienne au point que, dans l'abondant dispositif vidéo, des images d'elle sont régulièrement projetées, de la plus petite enfance à l'âge adulte. Ainsi, si l'avidité au gain, loin de se limiter à la République Tchèque, prend un caractère universel, cette polarisation sur un rôle et une actrice resserre à ce point l'intrigue que la pièce trouve une force supplémentaire dans la peinture d'une névrose individuelle.

 

 On aura beau tenté de voir dans "Vera" une pièce dénonçant cette plongée inhumaine dans une frénésie de la réussite, Elise Vigier et Marcial Di Fonzo Bo en propose une mise en scène trépidante, renforçant son aspect délirant. Le caractère obtus de Vera, confinant à une sécheresse grandissante dans ses relations, est tendu vers une mécanique suicidaire que la mise en scène, dans son découpage vif, précipite. Avec ses innombrables séquences au montage quasi-cinématographique, ses panneaux coulissant faisant constamment basculer les nombreuses scènes, la pièce avance sur un fil instable. Et, comme bon nombre de créations contemporaines, la vidéo, très présente, contribue à créer des différents plans de réalité.

 

 Dans ce précipité d'actions parfois inégales (les intermèdes chantées assez superflus), on assume la disparité des interprétations : à côté d'une Karin Viard entière, les autres comédiens jouent de multiples rôles. Dans ces métamorphoses constantes, la palme revient évidemment à Marcial Di Fonzo Bo, méconnaissable au début, le visage envahi par une barbe, avec l'accent américain. On sent chez lui et son complice Pierre Maillet cette volonté d'inscrire cette pièce dans une veine qui leur est propre, celle du cabaret. Helena Noguerra est très convaincante en femme guérie d'un cancer qui retourne la proposition indécente de Vera de raconter sa maladie.

 

 Quasiment de toutes les scènes, Karin Viard est véritablement impressionnante dans le rôle de Vera. Abordant ce personnage peu amène et orgueilleux avec une distance froide (mélange de désinvolture confinant à une innocence inconsciente), une voix rauque et cassée accentuant ce détachement des émotions, elle porte de bout en bout l'irrésistible impulsion menant un sujet vers sa perte. Solidité d'une femme renforcée par sa stature amenant, lors de sa déchéance, à un renversement complet.

 

 Toute cette bascule se résume en une scène prodigieuse où, sous l'emprise de l'alcool, elle danse jusqu'à perdre le contrôle de son corps. Il faut voir, chez la comédienne, ce jeu remarquable entre les mouvements de danse, de plus en plus incertains, ces incessantes reprises, comme pour marquer une tentative ultime de maîtrise de soi, et le vacillement complet l'amenant à s'écrouler. C'est grâce à cette interprétation que "Vera", d'une noirceur interdisant toute identification, laisse, en dernier ressort, pénétrer une profonde émotion.

 

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26 mars 2017 7 26 /03 /mars /2017 19:00

 

     Photo : Brigitte Enguerand

 

 

Les Bas-Fonds

 

Pièce de Maxime Gorki

 

Mise en scène d'Eric Lacascade

 

Avec Pénélope Avril, Leslie Bernard, Jérôme Bidaux, Mohamed Bouadla, Laure Catherin, Arnaud Chéron, Arnaud Churin, Murielle Colvez, Christophe Grégoire, Alain d’Haeyer, Stéphane E. Jais, Eric Lacascade, Christelle Legroux, Georges Slowick, Gaëtan Vettier

 

 

 On peut ressentir un certain étonnement à voir, avant l'entame du spectacle, des chaises impeccablement alignées sur la scène, comme si on allait assister à une pièce au cordeau, au tracé minimaliste, avec des personnages conversant tranquillement assis. Mais ce prélude est trompeur. Eric Lacascade, que l'on découvre enfin ici, n'est pas Claude Régy, et cet alignement n'est que le prélude à une déconstruction, pour ne pas dire une destruction progressive, de tout ordonnancement équilibré.

 

 En soi, voir les comédiens arriver l'un après l'autre sur scène, et aller inscrire leur prénom sur un tableau, à la droite de la scène, produit deux effets : d'une part, on croit à la volonté d'Eric Lacascade de nous orienter quand à l'identification de la panoplie de personnages peuplant la pièce (15) ; d'autre part, cette précision ludique, conférant une dimension de spontanéité à ce prélude, ressemble à un leurre, car l'ordre d'apparition n'est pas forcément respecté sur le tableau, on finit par mettre son prénom ou l'on peut, et l'on a beau essayer par la suite d'identifier chaque personnage, force est de constater que l'exercice s'avère difficile.

 

 Pourtant, la force de la mise en scène de Lacascade – qui fera très vite oublier cette difficulté d'identification - est de rendre compte avec justesse de la diversité de ces sans-abri, déclassés logeant dans un hospice, dans une promiscuité totale, appelant des divergences, des solidarités, des rejets. D'ailleurs, les échanges débutent d'une manière complètement triviale avec l'homme qui refuse son tour de balayage, prétextant ne pas pouvoir respirer la poussière à cause d'une maladie (en fait, il est très porté sur l'alcool).

 

 Dans cette diversité de populations et de caractères, il y a matière à friction, tension, exploitation (le propriétaire du lieu qui vient intimer l'ordre de nettoyer les lieux). Un lieu fonctionnant comme un laboratoire des misères humaines, mais par rapport auquel Eric Lacascade prend soin de livrer une approche allant à l'encontre de tout réalisme naturaliste. Via un sens aigu du corps, il donne à ses comédiens une grande capacité à bouger, les engage dans une dynamique corporelle où tour à tour, on se tord, on se propulse dans l'espace, les gestes aux limites de la chorégraphie. C'est par cette expression corporelle que les personnages s'extraient de l’étouffement des lieux, du risque de voir leur identité limitée par cette promiscuité. S'il évite le corps à corps entre eux, Lacascade, dans plusieurs séquences, marque cette tension entre les êtres en les faisant parfois se défier, l'un devant l'autre, les visages dans une proximité telle qu'on croirait qu'ils vont se confondre. Défi des êtres qui confine un peu au duel westernien.

 

 Dans ce capharnaüm, un individu vient se glisser peu à peu : un vieil homme, Louka, figure de sagesse, véritable régulateur des liens, qui en appelle à la réconciliation, dans une légèreté conquérante, transformant son étonnement en actes. A la fois très sentencieux mais qui, face à la mort d'une jeune femme, en vient à prier. Sujet central de la pièce, qui en canalise les énergies débordantes, véritable révélateur, il a une aura remarquable. C'est Alain d'Haeyer qui incarne magistralement ce vieil homme. Son grand talent est de donner à son rôle cette souplesse servant à atténuer sa grandiloquence. Sa manière de se déplacer, toute en hésitation, en mouvements nerveux et rapides, gestes larges et généreux, voix haut perchée et empreinte d'humanité, contribuent à cette interprétation intense.

 

 A vrai dire, ce sont tous les comédiens qui sont remarquables, chacun ayant, à un moment ou à un autre, son moment de bravoure, où s'exprime la quintessence de son caractère. Il y a particulièrement Jérôme Bidaux, qui donne beaucoup de saveur tragi-comique au rôle de l'Acteur, pathétique dans ses citations, dont le corps vrille d'être sous l'emprise de l'alcool. Murielle Colvez, en tenancière, passe avec beaucoup de justesse du registre romantique éploré à la sécheresse de cœur d'une femme déçue.

 

 La mise en scène d'Eric Lacascade, au départ discrète, impressionne à mesure qu'elle avance, par sa capacité à rendre compte, subrepticement, de la situation de ces déclassés. Très frappants sont notamment ces lits disposés derrière un rideau, dont l'alignement évoque irrésistiblement une série de tombes. Et il faut voir ces vêtements que les comédiens font descendre du haut de la salle, telle une métaphore de personnages cherchant l'ultime aide venant d'en haut. Un spectacle qui se parachève dans un pur élan bouffon (déluge de bières), prouvant la volonté du metteur en scène de mettre un point d'orgue à éviter tout misérabilisme.

 

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24 mars 2017 5 24 /03 /mars /2017 23:56

 

    Photo © Pascal Gely

 

 

Les larmes d'Oedipe

 

D'après la tragédie de Sophocle

 

Texte et mise en scène de Wajdi Mouawad

 

Avec Jérôme Billy, Charlotte Farcet, Patrick Le Mauff

 

 

 On peut dire que, pour conclure son cycle consacré aux tragédies de Sophocle, l'auteur et metteur en scène Wajdi Mouawad a choisi une option étrange, avec ces "Larmes d’Oedipe" conçus comme une version pour le moins confidentielle. Le spectateur, qu'on invite, plus que jamais, à bien éteindre son portable pour ne pas perturber l'ambiance particulière au début du spectacle, se sent comme invité dans un espace onirique, hors du temps ou de l'espace, où seule règne la nuit noire. Manière de convoquer une intériorité, de ramener les tragédies de Sophocle à un degré d'intimité feutrée.

 

 En effet, quoi de moins spectaculaire que cette scène éloignée, où évoluent l'ombre des trois comédiens, une lumière les détachant à peine du rideau dressé derrière eux. Si "Les larmes d'Oedipe" retracent une fin, sous forme de retraite mortifère, on y sent aussi l'espace propre à tout commencement, la palpitation lumineuse marquant une naissance. Et la radicalité visuelle opérée par Wajdi Mouawad, rend bien compte de cette perte du personnage d'Oedipe accompagné par sa fille Antigone.

 

 Ce théâtre minimaliste, épuré jusqu'à métaphoriser l'absence de vision d'Oedipe, n'est pas sans rappeler un certain Claude Régy, apôtre des représentations anti-spectaculaires. Celui-ci avait livré avec "La mort de Tintagiles", une pièce conçu comme un théâtre d'ombres, dans le sillage des théories révolutionnaires de Maurice Maeterlinck sur l'acteur, appelé en quelque sorte à disparaître, au profit d'une voix blanche, le moins chargé possible en émotion.

 

 Mais à la différence de celle de Régy, la radicalité de Wajdi Mouawad n'empêche pas la pièce d'être gagnée par une émotion passant essentiellement par les voix. A une perception défectueuse s'ajoute une écoute suave, la voix des comédiens, amplifiée mais sans jamais qu'elle paraisse accentuée, brasse les mots avec une belle élégance. Le plus surprenant reste la position de Jérôme Billy : incarnant le Coryphée, le comédien nous gratifie de moments chantés où perce une voix grave et profonde, installant une ambiance de salon antique dans la salle.

 

 Cependant, on pourra rester très perplexe sur l'option envisagée par Wadji Mouawad : dans sa revisitation personnelle de la tragédie grecque, sa tentative de faire résonner des thèmes éternels avec des préoccupations contemporaines (crise financière, assassinat d'un jeune homme par la police) paraît bien trop appuyée et par là, manquer de subtilité ou de pouvoir suggestif. On sait à quel point on peut extirper de pièces anciennes, des interrogations suffisamment fortes pour en faire sourdre des vibrations contemporaines. Malgré cette réserve, et compte tenu de sa capacité à nous envelopper dans une atmosphère envoûtante, "Les larmes d'Oedipe", s'il ne nous arrache pas de pleurs, nous maintient dans une belle intériorité chuchotée.

 

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19 mars 2017 7 19 /03 /mars /2017 22:29

 

    Photo © Charlotte Corman

 

 

Doreen

 

D'après "Lettre à D.", d'André Gorz

 

Texte et mise en scène de David Geselson

 

Avec Laure Mathis et David Geselson

 

 

 On peut admirer un texte comme "Lettre à D.", d'André Gorz, véritable hymne à l'amour, dont le début, magistral, inscrit le contenu de cette adresse au rang de mythe éternel. Admiration qui, pour certains, peuvent confiner au fétichisme, au point de ne pas concevoir une possibilité de voir ce texte adapté sur les planches. David Geselson, dont on ne doute pas de l'attrait pour le texte de Gorz, n'en propose pas une transcription, mais choisit d'extraire non pas un texte, mais sa matière humaine, en incarnant lui-même André Gorz, tandis que Laura Mathis se coule dans la peau de Doreen, la femme avec qui Gorz a vécu 58 ans, avant que les deux n'achèvent cette relation par un acte définitif et tragique.

 

 Quel que soit le ressenti de David Geselson par rapport à "Lettre à D." son approche à lui est loin d'être fétichiste. Au contraire, en bouleversant le dispositif théâtral traditionnel, il propose au spectateur de littéralement pénétrer dans un intérieur, en étant en quelque sorte à "hauteur d'homme" pour parler du cinéma de Howard Hawks, ou à "hauteur de tatami", pour évoquer celui d'Ozu. Une proximité surprenante, qui nous fait littéralement participer à un apéro, où l'on vient se servir à boire ou grignoter. A côté des fauteuils de théâtre disposés sur trois côtés différents de la salle, d'autres invitent littéralement à se prélasser et les exemplaires de "Lettre à D." sont proposés au spectateur. On peut feuilleter, lire des passages, à condition aussi de remettre les livres à leur emplacement.

 

 Cette rupture totale de la représentation, des plus réjouissantes, abolissant toute distance entre les comédiens et le public, favorise bien sûr l'adresse parfois personnalisée : Laura Mathis, assise à la table où sont répartis boissons et chips, parle les yeux dans les yeux à une spectatrice juste à côté d'elle. Quand le spectacle commence vraiment, chacun d'un côté de la scène choisit un auditoire à qui il livre ses premières impressions sur la rencontre avec l'autre. Ils s'expriment en même temps ; à chacun d'orienter son attention sur l'un ou l'autre, en fonction de son intérêt pour les paroles prononcées.

 

 Quand le dialogue s'instaure enfin entre eux, c'est pour livrer des pans de leur vie, au centre duquel figure ce livre, objet envisagé dans son inscription historique, rapporté à des événements ponctuels jalonnant leur vie de couple, mais objet envisagé aussi dans sa matérialité physique. "Doreen" s'envisage alors comme une pièce où des personnages d'un livre prennent vie, comme une germination fantasmatique. En même temps, dans cette incarnation scénique, nulle idéalisation n'est à l’œuvre. Au fond, ce que vise leur échange, c'est une désacralisation de la relation de couple, pour la ramener à sa banalité domestique. Quand Doreen demande à André s'il veut l'épouser, sa réaction confine à l'hystérie comme si, au contraire d'une soudure, cette demande induisait une fracture individuelle pour l'écrivain.

 

 A d'autres moments, où pointe une certaine suffisance de l'homme, Doreen contrebalance par une ironie mordante (sa réaction concernant les propos sur l’aliénation de l'individu par l'automobile). Le mythe littéraire descend ainsi de son piédestal pour se mesurer ainsi à la vibration du quotidien, avec ce que cela suppose de petitesses et de tension fébrile. "Doreen", en nous immergeant dans cette immédiateté, nous rend les personnages plus proches. Emmenés par deux formidables comédiens, à la spontanéité délicate, on sort de la salle en se convainquant qu'on va transformer l'apéro en repas, manière de rendre encore plus ténu le lien entre théâtre et vie réelle.

 

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