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10 janvier 2018 3 10 /01 /janvier /2018 22:05

 

 

 

Mélancolie(s)

 

Création et adaptation à partir des "Trois Sœurs" et de "Ivanov" d’Anton Tchekhov par Julie Deliquet et le collectif In Vitro

 

Mise en scène de Julie Deliquet

 

Avec Julie André, Gwendal Anglade, Éric Charon, Aleksandra De Cizancourt, Olivier Faliez, Magaly Godenaire, Agnès Ramy et David Seigneur

 

 

 

 

 Plus que jamais, en l'année 2017, Tchekov aura connu les honneurs de la scène théâtrale française. Avec "Mélancolie(s)", par Julie Deliquet et le collectif In Vitro, c'est à une sorte d'apothéose à laquelle on assiste, car ce spectacle est composé de ni plus ni moins que de l'adaptation de deux pièces du grand écrivain : "Les trois sœurs" et "Ivanov". Le résultat, véritable fusion de deux œuvres pourtant distante l'une de l'autre de plus de dix ans (la première version d'Ivanov date de 1887, "Les trois sœurs" de 1900), témoigne d'un sens aigu de l'univers de Tchekov.

 

 Première pièce jouée du vivant de Tchekhov, "Ivanov" contient sans doute à elle seule le climat qui irrigue l'univers de l'écrivain, empreint d'un désespoir existentiel pesant, que les autres œuvres contribueront à tamiser en les passant dans un filtre délicat, où la vacuité existentielle et la suspension du temps dessineront des territoires infiniment plus profonds. Mais en tissant ces deux pièces, Julie Deliquet et son collectif réussissent une vraie alchimie : concentration des formes, des temporalités, confrontations des personnages antinomiques.

 

 Pourtant, le début de "Mélancolie(s)" laisse planer une atmosphère singulière, avec la projection d'une vidéo où deux personnes, homme et femme, sont filmées dans une voiture. On y parle de la maladie de l'une et de la perte des sentiments amoureux de l'autre. Scène muette, allure de roman-photo ne laissant en rien augurer de la suite, qui se déroule en fait … un an avant. Prélude en noir et blanc à la fois idéalisé et désinvesti de toute nature conflictuelle, ne laissant percevoir les feux passionnels.

 

 La longue séquence montrant l'arrivée d'Ivanov (appelé ici Nicolas) avec sa femme chez d'anciens amis révèle la qualité de travail de groupe de Julie Deliquet : un incomparable sentiment de spontanéité dans les scènes, l'impression tenace de voir une scène se créer sous nos yeux, dans un pur présent, rompant avec l'idée de déroulement, de progression. Le spectateur a véritablement le sentiment d'être au plus près de ce frémissement humain, où les sourires ouvrent les échanges, les traits d'humour fusent. C'est véritablement là qu'on assiste à une sorte de revivification de l'univers de Tchekhov, sachant que l'écrivain regrettait souvent le manque de légèreté de ses adaptations.

 

 Mais dans la deuxième séquence, on passe à un tout autre registre. Si la scénographie n'évolue pas beaucoup, le ton se fait beaucoup plus dramatique, et la légèreté inaugural le cède ici à une tension qui, bien que traversée par des phases de légèreté et de d'humour, ne s'atténuera plus. La vibration humaine créé dans la pièce est d'ailleurs telle que plus on avance, plus il est difficile de détacher les moments proprement conflictuels de ceux axés sur la détente. Véritable schizophrénie comportementale induisant un regard décalé.

 

 C'est qu'avec la place que prend le personnage de Nicolas-Ivanov, le déséquilibre s'installe pour ne plus s'inverser. A cet égard, l'interprétation d'Eric Charon - autour duquel gravite cette instabilité progressive -, étonne par cette façon d'incarner en libérant totalement sa veine expressive. Gestes amples hyperthéâtralisés, yeux tournant dans leur orbite, torsion extrêmes des bras. On se croirait quelque part dans un film muet russe . C'est sans doute beaucoup pour un seul acteur, par rapport au jeu finalement sobre de ses comparses. Pour autant, ça ne rompt pas l'équilibre de la pièce, tant la majorité des comédiens se révèlent brillants. Si l'approche se révèle parfois surprenante, elle n'en est que plus stimulante.

 

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20 décembre 2017 3 20 /12 /décembre /2017 21:56

Face à l'un des textes les plus radicaux de Samuel Beckett, le comédien Denis Lavant, connu pour son engagement physique, livre une performance plus sobre que d'habitude. Pour mieux en révéler la force des mots.

 

Cap au pire

 

Texte de Samuel Beckett

 

Mise en scène de Jacques Osinski

 

Avec Denis Lavant

 

 

 Il faut encore de nos jours une sacrée capacité pour s'attaquer à un texte de Beckett, tant l'univers de l'écrivain irlandais tient d'une forme de sacerdoce confinant au recueillement. Avec des textes tels "Le dépeupleur", l'impression si forte de passer par des strates existentielles où les notions les plus communes (amour, joie, bonheur ) passées par le filtre de l'écriture, se réduit à une portion congrue.

 

 Avec "Cap au pire ", texte écrit en anglais, traduit par Edith Fournier, un pas supplémentaire est franchi dans cette esthétique propre à Beckett consistant à débarrasser la langue de tout signifiant superflu. Texte parvenant à des degrés d'aridité tel qu'il confine à une étrange poésie. Manière unique de faire coïncider la réduction d'un texte à sa gangue essentielle et la plongée de l'être humain à ses battements fondamentaux.

 

 En cela, on ne s'attend pas forcément à voir Denis Lavant se couler avec une telle force dans l'univers aride de l'écrivain irlandais. Au théâtre, il nous a offert des rôles ô combien habités, incarnant Céline ou Francis Bacon. Loin d'une forme de mimétisme par rapport à de telles figures, c'est l'expressivité bondissante de Lavant qui en ressortait. Et s'il est un amateur de textes, on n'oubliera jamais que Denis Lavant, un temps complice de Léos Carax, qui l'a révélé, a imprimé dans notre rétine la représentation d'un comédien physique, félin, donnant une belle dynamique à la moindre soirée poétique.

 

 C'est dire que s’emparer de "Cap au pire", qui plus est dans la mise en scène de Jacques Osinski, marque une étape importante dans la trajectoire théâtrale de Denis Lavant. Si le défi est avant tout dans l'assimilation d'un texte ardu, le dispositif mis en œuvre par Osinski, pour le moins minimaliste, participe de cette exigence radicale : un carré lumineux se détache du sol, dans une salle plongée dans la pénombre. Le comédien s'y place pour ne plus en bouger. Immobilité et obscurité dessinent une atmosphère recueillie, propice à se gorger des mots de Beckett dans la bouche de Lavant. Sa voix se fait plus posée qu'à l'ordinaire, toujours rocailleuse, mais tel un forgeron des mots, il polit les phrases, révélant autant les aspérités que les zones d'ombre. Osinski rend compte d'ailleurs de trous noirs en exploitant de façon osée de longs silences.

 

 Il faut dire que "Cap au pire", dans sa radicalité poétique, manie la répétition avec un sens aigu de l'obsessionnel. Avec cette plongée dans les abîmes de l'être, où chaque phrase renvoie à une reconstitution, où l'action la plus ténue qui soit évoquée traduit une naissance, on assiste à une forme théâtrale à la fois dense et raréfiée. C'est peut-être aussi la limite de cette mise en scène que de n'offrir qu'une seule option scénique, à la limite de l'étouffement. Car, quand bien même "Cap au pire" apparaît à priori comme un texte ardu, il inscrit en son sein un battement perpétuel, son essence étant d'opérer entre des pôles contradictoires, où le mouvement se heurte à l'immobilité, mais dans une dualité incessante ; le suspensif se confronte au mouvement. Il en est ainsi de ce fameux passage : "Essayer. Rater. Essayer encore. Rater encore. Rater mieux" , essentiel à la compréhension de la dynamique cahotante de nombre de textes de Beckett, où l'humour n'est d'ailleurs jamais loin.

 

 S'il est vrai que l'immobilité est au fondement de certaines pièces de Beckett (Oh ! les beaux jours), la dynamique langagière à l’œuvre dans certains textes radicaux ne débouche pas forcément sur une irréductible fixité, car c'est précisément par le langage qu'affleure une étincelle, quand bien même elle est livrée dans une contradiction existentielle. L'approche de Jacques Osinski n'enlève rien à la prestation impressionnante de Denis Lavant, mais elle aurait gagné à conserver cette pulsation essentielle propre à l'univers de Beckett, où à la chute, au silence ou à l'enfermement répond une irrésistible poussée du langage.

 

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15 décembre 2017 5 15 /12 /décembre /2017 12:21

 

 

 

Bacchantes - prélude pour une purge
 

Chorégraphie de Marlene Monteiro Freitas
 

Avec Cookie, Flora Detraz, Miguel Filipe, Guillaume Gardey de Soos, Johannes Krieger, Gonçalo Marques, Andréas Merk, Tomas Moital, Marlene Monteiro Freitas, Lander Patrick, Claudio Silva, Betty Tchomanga, Yaw Tembe
 

 

 Le spectateur féru de tragédies grecques ne s'y retrouvera pas forcément dans cette adaptation déjantée de Marlene Monteiro Freitas. Il se rassurera peut-être en sachant que la chorégraphe cap-verdienne avoue ne pas comprendre complètement la pièce d'Euripide. Manière pour elle d'effectuer un pas de côté artistique lui permettant de libérer sa verve imaginative.
 

 Et pour le spectateur désormais familier de l'univers de Monteiro Freitas, il y a, à côté de la volonté de comprendre le rapport au texte d'Euripide, le confort de pouvoir identifier cet univers chorégraphique si singulier, exerçant une séduction immédiate liée à ses composantes populaires (déhanchements prononcés de l'arrière train, érotisation des mouvements, hérités de certaines danses africaines). Et plus que jamais, il pourra relever cette caractéristique propre à la chorégraphe, où les personnages, mus par des mouvements mécaniques, saccadés, sont engagés dans des situations qui, s'ils frisent l'absurdité, frayent entre maîtrise du mouvement et sa décomposition.
 

 On a ainsi souvent l'impression de pénétrer dans un univers où, quelque part, on essaie de mettre de l'ordre dans un espace peuplé de marionnettes, comme déserté par une forme transcendante qui en régulerait les flux. Marionnettes sans fils, les personnages vont et viennent, accomplissant des actes, des figures, des danses totalement décomplexés. Marlene Monteiro Freitas, dans un élan purement carnavalesque, a opté pour une dépense des corps ludique, détourné de tout tragique.
 

 On décèle bien une tentative d'ordre dans « Bacchantes - prélude pour une purge », instaurée de prime abord par les musiciens, investissant le devant de la scène dans une régularité de métronome, pour finir par s'asseoir sur des chaises, dos aux spectateurs. Censés regarder la pièce, tels des superviseurs qui viendraient en corriger les ratés, ils se révèlent, pris qu'ils sont dans la même dynamique déshumanisée, collés à leur siège, dans une passivité et une impossibilité de contrôle marquées par leurs mouvements de tête, incontrôlables. Il y a encore cet homme qui, au fond de la scène, chante ou, plus tard, tape sur une percussion. S'il fait office de leader, cette place ne sera jamais assurée tant, dans « Bacchantes - prélude pour une purge », l'anarchie finit par dominer, les positions devenant interchangeables. Il y a toujours quelque part, sur la scène, un personnage excentré, rompu à ses mouvements solitaires, échappé de tout échange.

 

 Dans ce spectacle survolté, si l'allure de marionnettes des personnages est renforcée par leurs attributs postiches (notamment des bouches démesurées), c'est principalement leur œil artificiel, allant des musiciens aux danseurs, qui donne à « Bacchantes - prélude pour une purge » sa métaphore principale : quelque soient les activités, les mouvements, les danses, tout se fait, au bout du compte, « à l'aveugle ». Il n'y a de la dépense que dans le tâtonnement de l'espace, que dans une tentative imparfaite de conquérir objets, corps de l'autre, ou de maîtriser son propre corps. Scène emblématique : l'homme se masquant les yeux et allant chercher un spectateur pour que celui-ci l'aide à aller vers la scène. L'œil fermé ou exorbité traduit la tension entre éveil au monde et impossibilité de s'y fixer une place.

 

 In fine, l'unité de « Bacchantes - prélude pour une purge » tient à la constance de son débordement, où la virtuosité des uns et des autres arrive à tout faire tenir. Les musiciens surprennent en dépassant constamment leur jeu de trompette. A un thème classique répondra, à un moment ou à un autre, un délire sonore improbable, où tous les souffles possibles sont exploités, en une expérimentation digne de la musique contemporaine. Surtout, de spectateurs au départ, ils se fondent parfaitement dans le dispositif de la pièce, devenant acteurs à part entière et se prêtant aux mêmes délires que les autres, avec force grimaces et borborygmes régressifs (il faut les voir avançant couchés à terre, soufflant dans leur instrument devant eux).

 

 Mais plus que tout, c'est sans doute dans l'usage des objets que la pièce de Marlene Monteiro Freitas atteint à la plus grande virtuosité, accomplissant l'infini pouvoir de la métamorphose. Un pupitre se transforme tour à tour en béquille, en épée, en violon, en flûte, au gré de l'inventivité des protagonistes. Cette mobilité joyeuse confère à « Bacchantes - prélude pour une purge » une inaltérable dynamique, aidée par une pléiade de citations musicales (Debussy, Purcell, entre autres) et culmine avec le « Boléro », de Ravel, musique par excellence de la ritournelle fondée sur l'amplification thématique. Manière d'accéder, par une inlassable boucle fédératrice, à un semblant d'ordre.

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12 décembre 2017 2 12 /12 /décembre /2017 21:39

     photo : Christophe Raynaud de Lage

 

Tapis rouge

 

Chorégraphie et interprétation de Nadia Beugré

 

Création musicale et interprétation de Seb Martel

 

Avec Adonis Nebié, danse

 

 

 Recréation d'un spectacle que Nadia Beugré avait présenté à Avignon en 2014, "Tapis rouge" a tout pour surprendre, voir désarçonner ceux qui le découvrent pour la première fois. Œuvre sans concession, elle va puiser dans des strates culturelles dont les codes ne sont pas évidentes à cerner, et il faut parfois passer par la parole de la chorégraphe pour en avoir une compréhension, ne serait-ce que partielle.

 

 Si le titre a le mérite d'une clarté sémantique, il opère déjà, par rapport au contenu scénique, un détournement, un renversement : le tapis rouge en question, c'est celui déployé devant les figures de pouvoir en Afrique. Le sens que renferme donc ce titre contient donc une critique implicite de ce privilège lié au pouvoir, et Nadia Beugré procède à une réappropriation en le déplaçant. "Tapis rouge" est ainsi un hommage aux travailleurs soumis à des conditions difficiles, comme ceux travaillant dans la mine.

 

 "Tapis rouge", s'il est donc marqué par un discours revendicatif, en voulant mettre à l'honneur les démunis, ne laisse en fait aucune trace discursive transparaître sur scène. Et c'est en cela qu'il est déstabilisant. Il suffit de prendre le début, marquant, pour s'en rendre compte : dans la pénombre, après qu'un corps ait rampé au sol jusqu'au bord de la scène, on voit Nadia Beugré entrer à l'intérieur d'un espace clos, constitué de toile de tissu transparent. Tandis qu'assis à terre, un homme, tel un cuisinier blanc reconverti à des rites africains, confectionne des boules de terre, Nadia Beugré, de ses seules mains, creuse dans dans un épais tas de terre ocre.

 

 De ses gestes vigoureux, elle extirpe petit à petit des figurines, tels des poupées d'enfants pauvres, qu'elle amasse en tas sur son corps, avant d'aller les installer devant la scène. Comme dans un rituel de retournement des corps, elle déterre pour honorer, redonner vie. S'ensuit une prestation étonnante, où les corps des performeurs investissent la scène pour y figurer des élans divers. Adonis Nebié, présent dans cette nouvelle version, assure la dimension chorégraphique avec une belle prestance, l'énergie physique développée n'ayant d'égal qu'une virtuosité sèche. Il faut le voir également traverser la salle, parmi les spectateurs à l'aide de cordes suspendues au dessus de la salle. Confrontation décalée des corps, proximité qui se voudrait un rien provocante (Adonis Nebié est en slip), prolongé par le moment où il distribue des barres de chocolat parmi les spectateurs. Si le geste est récréatif, il n'est sans faire penser, sur un mode plus provocateur, à une inversion du rapport de domination colonial (le chocolat comme … du "Ya bon Banania")

 

 Seb Martel, quant à lui, occupe un double rôle puisque musicien, il joue littéralement sur scène, surprenant dès le départ avec sa manière de gratter les cordes de sa guitare d'une main, dans une position peu orthodoxe, à terre. Les sons amplifiés et remixés, représentent une enveloppe sonore qui envahit tout le champ de la pièce. Avec lui, l'instrument est un personnage à part entière qui donne un tempo spécifique à "Tapis rouge". Mais le musicien est aussi impliqué physiquement quant aux côtés de Nadia Beugré, il est pris dans un mouvement de lutte et d'opposition. En le mettant complètement nu, la chorégraphe, là encore marque son spectacle d'une empreinte critique, où le dominé n'est pas celui qu'on croit.

 

La position de Nadia Beugré dans sa pièce, moins investie au niveau de la danse – c'est à Adonis Nebié qu'est dévolue cette tache – varie au fil du spectacle. A la fois très impliquée physiquement lorsqu'elle creuse ou embarque le musicien dans des duos tendus à travers la salle, elle se situe parfois dans des postures d'attente, en restant sur le côté, comme médusée devant les différentes scènes. Comme si, à côté de l'agitation de ses comparses, elle marquait le pas sur le mode d'une observatrice distanciée, pour se tenir ensuite dans une intensité figée évoquant la transe (elle se met à baver). Une approche pour le moins hétéroclite, qui rend la démarche de la chorégraphe d'autant plus intéressante qu'elle se situe en dehors de tout cadre chorégraphique normé. Pour cette femme ayant collaboré avec des artistes occidentaux (on l'a vue récemment danser dans "10000 gestes" de Boris Charmatz), "Tapis rouge" trahit un attachement à des origines, et son éclatement autant que sa vibration étrange participent à rendre son geste artistique attachant.

 

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10 décembre 2017 7 10 /12 /décembre /2017 09:25

 

 

DEUX MILLE DIX SEPT

 

Spectacle de Maguy Marin

 

Pièce pour 10 interprètes

 

 

 Les corps qui surgissent au début de "Deux mille dix sept", inscrivant la dernière création de Maguy Marin dans le champ de la danse, ne saurait manquer de faire penser à "Bit", l'une de se œuvres les plus dansées, sans pour autant l'empêcher d'être l'une des plus dramatiques. Des danseurs se tenant par la main, entamant une ronde qui tantôt se défait, tantôt se reforme, jusqu'à ce qu'elle se délite par manque de participants. L'entrée en matière, tel un clin d’œil graphique à "Bit", ne contient pas en soi de charge tragique : la ronde s'est dénouée dans la souplesse joyeuse de corps retournant à leur individualité sereine.

 

 Dans la séquence qui suit, on entre de plein pied dans une démarche caractérisée de Maguy marin : l'engagement politique. Si le titre de la pièce laissait augurer d'une prise de position, force est constater qu'elle éclate dès cette partie. On assiste alors à une véritable parade où les personnages défilent de façon peu réaliste, les bras remplis de sacs portant le nom d'enseignes prestigieuses. Postures affectées d'individus auto-satisfaits de leur appartenance à une société de consommation, clins d’œil, on les croirait évoluer dans une cour royale. Construite sur un mode totalement bouffon, la charge explicite se veut drôle, et la manière dont les danseurs s'affublent d'objets postiches (longs nez, chaussures miniatures aux pieds, chapeaux extravagants) témoigne du désir de Maguy Marin de mêler la légèreté au caractère acerbe de sa pièce.

 

 Sur un plan purement scénique, on retrouve, à un degré moindre, ce qui faisait l'attrait incomparable de "Umwelt", l'un des sommets de l'univers de la chorégraphe : une qualité de circulation des corps, avec ces entrées et sorties, l'art du passage des individus et, dans ces apparitions, l'impression tenace de voir s'insinuer un morceau de réel. Une force scénique, débarrassée cette fois de toute séduction, qui se cristallise avec l'arrivée de personnages en tenue d'ouvrier. Avec une régularité de métronome, ils extraient du plateau des stèles qu'ils étalent tout le long de la scène. Sur la façade avant figurent des prénoms de toutes sortes. Lors d'un deuxième passage, avec la même implacable synchronie, ce sont les noms de pays qui s'affichent.

 

 Si ces séquences sont marquées par une certaine sécheresse graphique, elles prennent, à force de s'appuyer sur un discours revendicatif, une dimension mortifère. Les stèles équivalent à la mort et représentent pour Maguy Marin autant de victimes, à travers le monde, du capitalisme néo-libérale.

 

 Avec sa mise en scène au cordeau, amplifiée par un tonnerre sonore (une phase répétitive se révèle assez agaçante), Maguy Marin installe une dynamique où les différents séquences renvoient à sa posture militante. Scènes d'humiliations, principalement fondées sur la notion de productivité : sur la droite de la scène, des ouvriers sont tenus d’accélérer leur rythme ; une femme est reprise par un patron qui lui montre comment couper plus rapidement un aliment. Entre un drapeau américain et un groupe de grands patrons devisant autour d'un verre, la charge s'accentue jusqu'à prendre, dans son mouvement final, une ampleur puissante avec l'édification d'un véritable mur-autel dédié au consumérisme.

 

 Cependant, si la proposition de Maguy Marin a le mérite de la clarté, tant la succession des séquences renvoient à un sens univoque, cette prise de position finit par desservir quelque peu "Deux mille dix sept". Précisément parce rien, dans la progression de la pièce, ne vient contrebalancer, sur un plan esthétique, le discours volontariste. Celui-ci prend le pas sur la forme, qui se rigidifie quelque peu. Quelque soit la densité des scènes, elles sont trop enserrées dans un discours qui les empêche d'ouvrir l'horizon sur une rêverie salutaire.

 

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8 décembre 2017 5 08 /12 /décembre /2017 12:46

 

Paradise
 

Par Dairakudakan
 

Chorégraphie, Direction artistique, Interprétation : Akaji Maro
 

Pièce pour 21 danseurs

 

 

 « Paradise » : le mot semble trop grand pour y loger n'importe quelle proposition. Tellement connoté au niveau occidental, voir Akaji Maro et sa troupe de butô japonais s'atteler à un spectacle autour d'un thème aussi large, à la fois universel et vague, a de quoi à priori laisser perplexe. Mais sachant l'inspiration débridée dont peut faire preuve Dairakudakan, il n'y a pas à douter que le spectacle vu sera riche. Et il suffit, une fois de plus, de se trouver face à la séquence d'ouverture de « Paradise » pour comprendre que le facétieux Akaji Maro, accompagné de ses vingt danseurs, va déployer un feu d'artifices visuels. Tous les danseurs, recouverts de cette poudre blanche caractéristique du butô, sont serrés les uns contre les autres, visages éberlués, face aux spectateurs, yeux écarquillés, bouche ouverte, de laquelle des cris s'échappent. Ces cris, véritables leitmotiv de la pièce, marquent souvent dans le butô ce rapport au monde, constitué d'effroi. Ici, le début d'un spectacle et figuration d'une naissance vont de concert.

 

 Mais la scène suivante, par sa splendeur et sa puissance énigmatique, installe d'emblée la force esthétique de Dairakudakan : Akaji Maro lui-même, visage blafard et émacié, affublé d'une coiffure extravagante, se tient au centre, telle la figure d’officiant qu'il occupe la plupart du temps dans les pièces. Tous les danseurs sont reliés à lui via une chaîne qui part du cou d'Akaji. Si la position du maître de la troupe, en orchestrateur du mouvement des autres, paraît à priori évidente, il n'en reste pas moins que cette scène saisissante, dans sa tension graphique entre les corps, n'en contient pas moins un paradoxe : Akaji, avec cette grosse chaîne autour du cou, n'en demeure pas moins fragile que ses danseurs, rompus à des mouvements d'excitation, à des tentatives d'échapper à un ordonnancement obligé.
 

 Si cette séquence inaugurale est si importante, c'est par ce qu'elle révèle comme ambiguïté du traitement du thème du paradis : le jeu consistant à libérer les corps pour les projeter dans un champ d'expérimentation ou tout devient possible. En montrant de prime abord des corps contraints, comme pris dans un étau infernal, Akagi signifie avec force l'inévidence du sujet, mais surtout l'absence de tout dogme esthétique.

 

 A partir de là, en prenant appui sur ce battement entre des postures contradictoires, Dairakudakan va livrer toute la panoplie de son inventivité scénique. Vrai fourre-tout carnavalesque, permettant la collusion de passages d'une beauté sidérante à d'autres d'une trivialité revendiquée, « Paradise » convoque aussi bien des scènes à l'allusion sexuelle évidente jusqu'à celle, surprenante et décontractée, de danse techno sur des patins à roulette. L'impression de boite de nuit prédomine pendant quelques instants. Cette liberté de ton, on ne l'imagine guère chez Sankai Juku, travaillant une esthétique qui ne se laisse gagner par aucune aspérité contemporaine. Dans « Paradise », on jubile à un point tel qu'on assiste à une destruction d'une forme pourtant très codée.

 

 La mise en scène participe constamment de cette surprise visuelle, où les repères spatiaux sont souvent remis en cause. Dès le départ sont disposés, sur les cotés, des structures qui, à mesure que les séquences s’enchaînent, prennent une place prépondérante. De purs décors massifs, dignes de colonne, elles se transforment en grandes boites évidées, en estrades sur lesquelles les danseurs vont se tortiller, mais aussi bien en hublots, par lesquelles leurs têtes vont passer ; pointes d'absurdité évoquant le théâtre d'un Tadeusz Kantor ou, plus près de nous Josef Nadj.
 

 Si la pièce donne à voir des scènes de plus en plus improbables, de la composition de groupe la plus soignée aux échappées individuelles les plus débridées, elle s'appuie sur une double matière qui l'unifie : d'abord la musique de Jeff Mills, familier de l'univers de Dairakudakan. Qu'elle soit répétitive, lorgnant du côté de la techno, stridente avec des instruments discordants, ou plus douce avec quelques notes de shakuhachi, elle renforce l'allure générale de « Paradise » en lui insufflant, vers la fin une intensité aux limites de l'audible.

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4 décembre 2017 1 04 /12 /décembre /2017 23:16

 

 

 

Le then des Tay et des Nung

 

Musique rituelle vietnamienne (troupe deTriêu Thuy Tien)

 

 

 Présenté pour la première fois en France, au centre Mandapa, dans le cadre du prix 2016 de la Maison des Cultures du Monde (lauréate Ha Hoang), le spectacle met en avant des rituels d'ethnies en provenance du Nord du Vietnam, les Tay et les Nung (il en existe bien d'autres).

 

 Lorsque Ha Hoang, jeune étudiante-chercheuse à l'origine de la venue des musiciens, s'adonne à quelques explications relatives à ces rituels, elle met l'accent sur un trait particulier : lorsque les musiciens disposent un éventail devant leur visage, cela signifie qu'ils sont dans une forme de transe. Les précautions d'usage faites, le spectacle, qui tient en à peine une heure et demi, laisse très vite une impression tenace : celle d'assister à un condensé de rituels dont on sait que, sur place, hors du cadre d'une salle de spectacle, ils peuvent durer toute la nuit.

 

 Vêtus de costumes chatoyants, avec des coiffes à la flamboyance extravagante, les artistes apparaissant sur scène ont une double spécificité, celle d'être à la fois des chamans, s'inscrivant dans un culte de possession et des musiciens, munis d'un luth tinh tâu, d'apparence rustique, moins évocateur à priori que les splendides luths vietnamiens plus connus, comme le danh tran, aux exquises sonorités. Mais à mesure que le spectacle se déroule, on comprend bien que ces luths sont un simple support au chant, et qu'ils ne visent aucunement à une virtuosité technique. Pourtant, dans la rythmique impulsée par ces luths dont chacun s'accompagne, on sent percer un vrai swing. Surprenant pour une musique supposée être le support de phases de possession, situations par rapport à laquelle on suppose un étirement temporel, entre stase et accélération.

 

 Plus surprenant encore, cette rythmique implacable, loin de nous rappeler les sonorités de la musique savante vietnamienne, déporte nos oreilles vers une autre région, l'Asie Centrale, où l'accélération endiablée des luths renvoie souvent au rythme du galop de cheval. C'est aussi cette rythmique qui permet au Then d'être une musique embrassant deux champs par forcément toujours conciliables, rituel et artistique, dans son versant scénique. En cela, les yeux et oreilles d'occidentaux ne peuvent avoir qu'une vision partielle de cette forme musicale.

 

 Et si cette musique conserve une évidente vivacité, c'est par cette faculté de transmission dont les musiciens présents ici donnent la preuve éclatante : toutes les générations sont représentées, et quand bien même certains paraissent très jeunes, ils disposent déjà d'une grande expérience, permettant de sceller l'accès au statut de chaman. C'est sans doute cette présence multi-générationnelle qui rend cette prestation si intéressante, en donnant l'impression que dernière une pratique traditionnelle, sa perpétuation embrasse avec ferveur les signes de l'irrésistible modernité.

 

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1 décembre 2017 5 01 /12 /décembre /2017 17:34

 

 

Bangkok Nites


 

Film de Katsuya Tomita


 

Avec Subenja Pongkorn, Katsuya Tomita, Sunun Phuwiset, Chutlpha Promplang, Tanyarat Kongphu, Sarinya Yongsawat


 

 Avec "Saudade", on avait découvert en Katsuya Tomita un cinéaste peu orthodoxe dans la galaxie du 7 ème art nippon. Soutenu à bout de bras par le collectif Kuzoku, produisant de films hors de tout circuit traditionnel, il avait réussi à créer, ne serait-ce qu'au Japon, une petite flamme dans l'ordinaire de la production. Ce cinéaste qui gagne sa vie en tant que camionneur avait suffisamment de quoi prendre des chemins de traverse en côtoyant des communautés peu connues au Japon, reléguées en marge de la capitale : les japonais originaires du Brésil, des immigrés thaïs.


 

 Nul doute que, du haut de sa capacité à sillonner les routes, Katsuya Tomita ait cherché à élargir encore plus son horizon en allant tourner en Thaïlande. Le film qu'il nous livre alors apparaît comme une sorte d'évidence. Le geste cinématographique, de local (la connaissance des communautés en marge dans "Saudade") prend une ampleur insoupçonnée.


 

 Il faut dire à quel point "Bangkok Nites" révèle une capacité d'ouverture inouïe pour un cinéaste nippon, les figures étrangères étant rares dans le cinéma de l'archipel. Mais aller filmer jusqu'en Thaïlande tient d'une gageure supplémentaire. Mais justement, on le sait depuis "Saudade", la perception de Katsuya Tomita ne relève aucunement d'une vision au centre de laquelle figurerait le peuple nippon, mais puise dans sa propre expérience de contacts avec d'autres populations.

 

 La façon qu'a le cinéaste d'occuper un rôle dans le film, à la fois centrale (il participe à l'ouverture du film vers d'autres horizons en prétextant avoir à faire dans la région de l'Isan et au Laos) et décalée (on ne sait jamais vraiment où il est) témoigne d'un rapport subtile au corps et à l'espace. Si le personnage que joue Tomita (Ozawa) entraîne sa compagne Luck vers l'Isan, ce n'est aucunement en vertu d'une position de force, surplombante. Au contraire, cette partie ouvrant sur d'autres personnages (mère, frère), elle laisse la place à d'autres aléas, à la diversité mouvante des rencontres et des affects.

 

 Il y a de la part de Tomita une forme de modestie foncière à être à la fois présent et à laisser ses personnages aller au bout de leur désir. En cela, la figure de Luck est emblématique de la liberté accordée au personnage, en prenant soin d'éviter de les enfermer dans une caractéristique sociale et existentielle univoque. La jeune femme combine une série de paradoxes qui en fait un personnage constamment mouvante : s'affichant comme figure de leader parmi ses consœurs entraîneuses, elle conjugue un physique frêle avec une détermination fragile. Entraîneuse et prise dans le mouvement spatial ouvert par Tomita ; affichant une force morale face aux clients japonais importants.


 

 Par rapport à la liberté solaire de son personnage principal, on a pu dire que "Bangkok Nites" était un film féministe. Sans vouloir figer la démarche de Tomita dans une posture morale volontariste, on dira ici que si les femmes occupent ici une place si peu caricaturale, de par leur situation si peu enviable, c'est que le cinéaste leur offre un espace ou justement elles évoluent sans chercher l'apitoiement. En évitant d'accabler ces femmes – et cela vaut aussi pour les clients – il compose un univers où les différents caractères mises en évidence servent avant tout à tisser une fiction et ses multiples vibrations. Pas de partage spécifique entre bien et mal, juste une approche d'entomologiste qui regarderait comment font les gens dans leur microcosme, avec leur force et leur faiblesse, leur part d'ombre et leur éclat.


 

 En ouvrant son film à d'autres perspectives géographiques et humaines, Tomita ne confirme pas seulement sa capacité à dynamiter tout flux social fondé sur des oppositions. Sa façon de papillonner, avec une liberté de ton impressionnante, va jusqu'à mener le spectateur vers des strates politiques à la limite du saugrenu, avec l'apparition d'un groupe de chanteurs d'allure marxiste,comme en dehors de toute adhésion à l'histoire. Une plongée sur des grands trous dans le sol laotien, largement bombardé par les américains lors de la guerre du Vietnam, témoigne de cette dérive narrative. Mais loin de se prendre au sérieux, Tomita y injecte une bonne dose d'absurdité joyeuse. Son film, du grouillement de la grande ville de Bangkok à l'aération bucolique du nord, en acquiert une légèreté sans pareil.

 

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30 novembre 2017 4 30 /11 /novembre /2017 22:39

 

 

 

Jeune femme

 

Film de Leonor Serraille

 

Avec Lætitia Dosch, Grégoire Monsaingeon, Souleymane Seye Ndiaye, Léonie Simaga, Nathalie Richard

 

 

 Avec ce premier film, distingué par une Caméra d'Or à Cannes, Léonor Serraille frappe un grand coup dans le jeune cinéma français. "Jeune femme" est porté de bout en bout par Lætitia Dosch. Sa présence dans toutes les séquences du film témoigne d'une énergie déployée par le personnage qu'elle incarne, Paula ; une femme congédiée par son amant, auprès de qui elle tente de revenir, mais qui ne trouve que porte close. Une situation qui produit une instabilité existentielle et professionnelle.

 

 Il y a, par là, toute la matière pour faire de "Jeune femme" un film d'errance, en plongeant son personnage principal, déclassée affectivement, dans des espaces intercalaires, transitionnels. Mais si le film propulse effectivement Laura dans toutes sortes de lieux (chambre de bonne, hébergée chez une femme qui croit la connaître), de même qu'elle navigue de petits boulots en petits boulots, Léonor Serraille évite d'enrober son parcours d'une aura misérabiliste, platement naturaliste. "Jeune femme" est au fond porté par un irréductible optimisme. Que Paula se cogne le visage jusqu'au sang après son abandon, au début du film, ou qu'elle essuie les critiques d'une femme lui ayant confié la garde de son enfant, on a l'impression que rien ne peut l'entamer, tant son énergie (amplifiée par le jeu dynamique de l'actrice) impulse son rythme au film.

 

 Et c'est peut-être justement là que le bas blesse dans "Jeune femme". A force de donner l'impression que son personnage retombe souvent sur ses pattes (puisque la dynamique du film tient à sa capacité à être présente), Leonor Serraille construit une œuvre trop maîtrisée, manquant d'intériorité. A voir une femme qui courre, s'agite, dépense une énergie folle, on a l'impression de ne l'envisager que dans son extériorité. Il manque à "Jeune femme" une profondeur qu'empêche la succession des séquences et des rencontres, trop superficielles pour souder une véritable histoire.

 

 Au fond, l’enchaînement des séquences, souvent de la même nature dramatique, donne au film une allure trop découpée, comme si on assistait à une succession de sketches. Malgré la diversité des rencontres, il n'y a pas d'aspérité rendant une séquence plus forte qu'une autre. Ce précipité des actes et des rencontres doit sans doute beaucoup à la personnalité de Lætitia Dosch, qu'on se souvient avoir vue sur le toit du Point Éphémère, dans "Un album" où elle balaie dans son approche comique des dizaines de personnages. "Jeune femme" totalement imprégné de cette multiplicité, fait de Lætitia Dosch une mutante caméléonesque, jamais à court de capacité de rebondir par rapport à tous les événements et les espaces auxquels elle est confrontée. Précisément, le souffle qu'elle injecte à Laura, s'il révèle une qualité de jeu réjouissante chez l'actrice, empêche réellement une adhésion tenace.

 

 Ce n'est véritablement que vers la fin, quand Paula retrouve son amant, qu'un souffle nouveau apparaît, tout simplement une pause, où les plans, plus souples, moins précipités, se resserrent sur les visages. Là Leonor Serraille filme véritablement la rencontre entre deux êtres, ce qu'elle avait cherché à fuir depuis le début.

 

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27 novembre 2017 1 27 /11 /novembre /2017 18:11

 

 

 

Shown and told

 

Conception et interprétation de Meg Stuart et Tim Etchells

 

 

 Familière du Centre Pompidou, Meg Stuart nous a habitués à des pratiques chorégraphiques souvent basés sur l'improvisation. Cette artiste, si elle s'inscrit dans une désormais longue tradition de la danse américaine, qui a révolutionné la discipline, poursuit un chemin original. Son parcours, loin d'être ancré aux Etats-Unis (elle est installée à Berlin ou Bruxelles) s'ouvre constamment à d'autres horizons artistiques, favorisant ainsi un constant renouvellement.

 

 "Shown and told", s'il a l'évidence d'un titre axé sur la division (montré et dit) dépasse le simple cadre d'une expérimentation tranchée. Accompagnée par Tim Etchells, de la compagnie Forced Entertainment, avec lequel elle a déjà collaboré, Meg Stuart entend porter l'expression corporelle au delà d'elle-même, dans un dialogue effréné avec un comédien. Si cette proposition n'est en soi pas si original (on se souvient de Mathilde Monnier dansant pendant que Christine Angot lisait son propre texte), c'est la manière dont les deux artistes dépassent leur appartenance artistique respective pour tresser un duo passionnant.

 

 Dans cet échange, on ne s'attendait pas de prime abord à voir Meg Stuart autant danser. Une danse expressive, ancrée au sol, faisant la part belle aux mouvements des bras, entre vivacité des gestes et traits secs. C'est sans doute la condition sine qua non pour que s'exprime dans toute sa plénitude le rôle de Tim Etchells, consistant à commenter à sa manière les mouvements de sa comparse. Créer du sens par la parole là ou la danse en soi a son langage propre.

 

 Et on a beau ne pas maîtriser l'anglais, on comprend quand même que cette illustration des gestes de Meg Stuart n'est pas donnée comme tel. Commenter, pour Tim Etchells, avec ce que cela implique comme phase d'improvisation, ne consiste pas à conférer un sens irréductible à des gestes. Tout l’intérêt de "Shown and told" repose ainsi sur ce dépassement de cette simple illustration. Si la voix d'Etchells progresse de manière volontairement hésitante, c'est pour se situer sur un jeu d'incantation pure, où les mots sont répétés, comme s'ils se forgeaient à l'instant de la parole.

 

 Point de sécheresse expérimentale dans cette approche, pour autant. A mesure que la voix de Tim Etchells se fait plus hoquetante, que ses descriptions se démarquent de toute véracité, le spectacle prend un tour loufoque, aux confins de l'absurde. C'est d'abord par l'implication progressive du corps d'Etchells, marqué par une hésitation, un tâtonnement lié à la façon de se situer dans l'espace, tel un être emprunté qui apprend à trouver ces repères. Dimension véritablement burlesque donnant au jeu d'Etchells toute sa saveur.

 

 Mais "Shown and told" n'est pas construit sur une linéarité, et procède à des dérives. Meg Stuart ne se cantonne pas dans la danse, et s'exprime également. Ces passages contiennent des moments désopilants où, là encore, Tim Etchells donne la pleine mesure de son potentiel comique : il se lance dans une longue série de descriptions absurdes et, peu après, se retrouve allongé au sol sur le côté, dans une posture inconfortable, égrenant quelques mots marqués par cette gène. Le spectacle, où percent quelques clin d’œil au public, atteint alors à une légèreté rompant définitivement tout programme théorique.

 

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Blog De Jumarie Georges

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